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La classe Ford et l’avenir de l’aéronavale américaine

Avec un bâtiment officiellement en service, un autre lancé et un autre en construction pour un total de dix unités prévues (dont quatre effectivement commandées), la classe Gerald R. Ford doit remplacer à terme les dix Nimitz – la tête de classe quittera le service en 2026 – et l’Enterprise, qui avait quitté le service actif en 2012. La classe augure de profonds changements non seulement en termes de technologies utilisées sur les porte-avions, mais aussi dans la structure de l’aéronavale elle-même.

Dès la fin des années 1990, l’US Navy a envisagé le développement d’une nouvelle classe de porte-­avions, destinés à assurer la continuité de sa puissance aéronavale jusque dans les années 2080-2090 – un siècle plus tard, donc. Avec une carrière opérationnelle officielle de 50 ans, la dernière unité de la classe Ford devrait ainsi quitter le service vers 2100 – dans près de 80 ans, soit une période équivalente à celle entre le premier vol de l’avion des frères Wright et l’entrée en service des premiers F/A‑18 Hornet dans l’US Navy ! La première découpe de tôle du CVN‑78, baptisé Gerald R. Ford le 3 janvier 2007, a eu lieu le 11 août 2005. À ce moment, il devait entrer en service en 2014, en remplacement du CVN‑65 Enterprise – une admission qui n’est finalement intervenue qu’en juillet 2017 et qui a été suivie d’un premier déploiement opérationnel, dans l’Atlantique, en novembre 2022 au terme d’une longue série d’essais à quai et en mer. Il n’a cependant duré que 53 jours, soit bien peu comparativement aux déploiements opérationnels classiques, qui peuvent dépasser les cinq mois.

L’efficacité à travers l’efficience ?

La conception du CVN‑78 est centrée autour de l’optimisation de ses opérations aériennes, permettant 20 % de sorties supplémentaires comparativement aux Nimitz, soit 160 sorties par jour durant 30 jours et jusqu’à 270 sorties par jour sur de courtes durées. De même, ses concepteurs tablent sur une disponibilité à la mer augmentée de 25 %, avec des intervalles de 12 ans entre les grands entretiens. La réduction du nombre de ceux-­ci et l’utilisation d’une automatisation plus poussée que par le passé, s’appuyant notamment sur plus de systèmes d’autodiagnostic, doivent permettre d’accroître le nombre de jours à la mer de la flotte américaine de porte-­avions. Cela compense ainsi la perte d’une unité sur les onze encore en service dans l’US Navy au début des années 2010. Par ailleurs, de telles mesures sont censées permettre d’embarquer moins de membres d’équipage et, en fin de compte, d’économiser de l’ordre de cinq milliards de dollars en masse salariale sur une durée de vie de 50 ans. Les enjeux sont donc multiples.

Les Ford augurent plusieurs évolutions importantes, qui ne sont pas nécessairement les plus visibles. L’installation de deux nouveaux réacteurs nucléaires A1B et d’un système de production électrique permettra de disposer de deux à trois fois plus d’énergie que par le passé. Les réacteurs, plus petits et plus légers, produiront 25 % d’énergie en plus comparativement à l’actuelle génération, pour une puissance totale de 700 MW, contre 550 sur les Nimitz et feront chuter de 50 % les coûts d’exploitation. Les réacteurs alimentent en vapeur, par l’intermédiaire de générateurs, quatre turbines assurant la propulsion, mais aussi la génération électrique.

Une partie de l’énergie produite est utilisée par les quatre catapultes électromagnétiques (EMALS – Electromagnetic aircraft launchers). Occupant moins de place que les catapultes à vapeur classiques, les EMALS peuvent être plus facilement entretenues et remplacées. Le gain en maintenance, dû à la disparition de la vapeur, est évident. Par ailleurs, l’accélération qu’elles offrent au catapultage est aussi plus progressive, diminuant les contraintes sur les appareils. La puissance qu’elles développent est également plus importante (en théorie, de 30 % supérieure), tout en étant plus aisément modulable en fonction des appareils se présentant et de leur masse au décollage. De la sorte, il devient possible de faire décoller des avions plus lourds – une tendance de plus en plus marquée en aviation embarquée – et de catapulter plus facilement ceux existant lorsqu’ils sont à leur masse maximale.

Le premier lancement d’un appareil (un F/A‑18E Super Hornet) par un EMALS a été effectué au sol le 18 décembre 2010, plusieurs autres catapultages intervenant ensuite avant des essais conduits sur le porte-­avions lui-­même. Reste qu’en février 2018, le Pentagone estimait que la fiabilité du système était « pauvre ». Dix mois plus tard, il était établi que 10 des 747 tentatives menées depuis le Ford étaient des échecs, alors que le standard de sécurité retenu est d’un échec pour 4 166 catapultages. Fin 2022, les corrections apportées ramenaient les échecs à 1 sur 614 lancements. Plus problématique, les catapultes ne peuvent être isolées, du moins pour l’instant, du circuit électrique du navire, ce qui empêche toute maintenance ou réparation en opération. Finalement, ces différents problèmes affecteront les espérances des concepteurs et de la Navy en matière de nombre quotidien de sorties.

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