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Jeux olympiques 2024 : vers un nouvel ordre mondial du sport ?

La guerre froide du sport : l’émergence d’un nouvel ordre mondial ?

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le CIO s’épaissit par vagues successives à mesure que la décolonisation signe la fin des empires, les comités nationaux olympiques (CNO) qui intègrent le CIO ne cessent de croitre à partir des années 1950. Durant cette période, les pays africains fraichement indépendants utilisent le sport pour affirmer leur identité et diffuser leur volonté à l’échelle internationale. À l’instar d’un drapeau, d’un hymne ou d’une constitution, une équipe nationale sportive est consubstantielle de l’État-Nation. Dès lors, le Front de libération national algérien (FLN) se constitue une équipe nationale de football alors même que l’Algérie n’est pas encore indépendante. Une façon d’exprimer par le biais du sport son identité préexistante à sa reconnaissance à l’ONU. Puis, en 1957, la Confédération africaine du football (CAF) est créée afin de donner un corps sportif au continent africain.

Dans le même temps, en 1955 lors de la conférence de Bandoung, le mouvement des non-alignés apparait, exprimant une volonté de ne pas participer à la guerre froide, ni du côté du bloc de l’Est, ni du côté du bloc de l’ouest. Il s’agit d’exprimer une troisième voie. D’un point de vue du sport, celle-ci devient visible en 1976, lors des JO de Montréal, avec le boycott de 22 pays africains pour protester contre l’apartheid en Afrique du Sud. 

Parallèlement, à partir de 1952, l’URSS intègre les JO et la guerre froide devient sportive. Pour Staline, le coup d’essai est presque un coup de maitre. À sa première participation, l’URSS finit deuxième derrière les États-Unis. Ce n’est que partie remise. En 1991, elle remporte la guerre froide du sport au classement des médailles mais s’effondre sur elle-même.

Pourtant, un siècle après leur création, les JO sont toujours l’apanage des grandes puissances économiques du XXe siècle. Entre 1896 et 1991, 117 villes ont candidaté pour obtenir le droit d’organiser l’événement parmi lesquelles 64 villes européennes, 42 américaines, 5 asiatiques, 3 océaniennes et 3 africaines. En outre, sur les 22 villes organisatrices de l’événement, 18 sont européennes, 5 sont nord-américaines, 2 sont asiatiques et 1 est océanienne. Le XXe siècle olympique est donc le théâtre d’une mondialisation asymétrique qui voit une majorité des peuples de la planète rejoindre un événement organisé par une minorité. Ce double processus de consensus et de domination est la résultante d’un siècle dominé par les pays riches issus principalement d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord (2).

Le monde se transforme alors que la guerre froide prend fin. Dans les années 1990, le spectre idéologique bipolaire n’existe plus en même temps que le capitalisme triomphe et que le communisme échoue. L’avènement d’un libéralisme multipolaire consécutif au développement de la mondialisation offre une redéfinition des enjeux géopolitiques du sport international. La chute de l’URSS entraine l’arrivée des nations post-soviétiques lors des éditions des JO qui suivent. Le CIO cherche alors à intégrer un maximum de nations pour promouvoir la paix et l’universalité. Symbole de cette volonté, l’intégration d’une équipe mixte avec des athlètes blancs et noirs d’Afrique du Sud après 28 ans d’absence dans le contexte de la fin de l’apartheid. Enfin, l’éclatement de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie achève de consacrer une fin de siècle et un début de millénaire sous le signe des revendications nationales diverses. Le sport devient alors un moyen d’affirmer son identité à travers la haute performance. Par conséquent, les tensions politiques baissent en intensité alors que les rivalités sportives, elles, s’accroissent. En 2000, les JO de Sidney accueillent 199 délégations. Si l’événement est retransmis pour la première fois sur Internet, il est également le premier à accueillir davantage de délégations que de pays reconnus par les Nations Unies.

Enfin, de nouveaux acteurs majeurs font leur apparition. Les pays émergents par l’intermédiaire des BRICS et des pays du Golfe s’imposent peu à peu dans le paysage olympique. La Chine fait notamment une entrée fracassante dans le sport de haut niveau au point de venir concurrencer la Russie et les États-Unis en organisant et remportant les JO d’été 2008 à Pékin. Les cartes de la géopolitique du sport mondial sont redistribuées et la guerre froide cède sa place à un nouveau monde multipolaire et fragmenté. En outre, la politisation du sport croît à mesure que l’ère de la mondialisation cède sa place à l’ère de l’hyper-connectivité des populations. À l’heure des réseaux sociaux, la massification du sport mute en sport 2.0. Désormais, c’est toute l’humanité connectée qui peut assister et participer aux manifestations sportives de premier plan. Paradoxalement, la domination occidentale se ressent toujours en termes de résultats sportifs. Pour combien de temps ? En 2024, il existe 193 pays reconnus par l’ONU pour 206 Comités olympiques membres du CIO. La mondialisation du sport est terminée : le sport n’a jamais été autant géopolitique qu’aujourd’hui. Nous sommes à l’aube de la désoccidentalisation du sport.

Vers la désoccidentalisation du sport ?

Pourtant, celle-ci n’est pas nouvelle. Rétrospectivement, elle a débuté dans les années 1950 et 1960 au moment de la décolonisation de l’Afrique et du mouvement des non-alignés. Elle connait néanmoins une accélération à partir des années 2000 lorsque les pays émergents (BRICS) à l’instar de la Chine commencent à s’accaparer un certain nombre de méga-événements sportifs de premier plan. Aujourd’hui, elle se traduit principalement par l’affirmation pérenne de nouveaux pôles de puissance du sport qui viennent contester l’hégémonie occidentale.

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