Au titre des ambitions océaniques, il est particulièrement intéressant de noter qu’une petite nation comme le Portugal fait un usage notable de ses capacités (deux Type‑214, version export du 212, tous les deux mis en service en 2011), faisant participer ses submersibles à des missions de l’OTAN, ou même de l’Union européenne (EUNAVFOR MED IRINI : embargo sur les armes en Libye). En 2023, pour la première fois, un sous-marin portugais, l’Arpão, a même franchi l’équateur pour une mission de 120 jours auprès des pays de l’Atlantique sud, dans le but notamment de « développer les actions de coopération bilatérales, multilatérales, la présence et la diplomatie navale dans le cadre de la communauté des pays lusophones ».
En Méditerranée orientale et en mer Noire, il faut noter que l’ensemble des flottes de SSK des rivaux grecs et turcs reposent sur le catalogue allemand, même si la Turquie cherche, grâce aux offsets, comme dans d’autres domaines, à acquérir de l’indépendance pour un programme indigène après 2030, qui viendra par la suite concurrencer l’historique partenaire allemand sur les marchés export. À Athènes, le partenariat stratégique noué avec la France pourrait éventuellement sourire à Naval Group dans le futur. Enfin, pour ce qui est de la volonté de montée en puissance de la Roumanie, elle devait se concrétiser par l’achat auprès de Naval Group de deux Scorpène. Mais si l’année 2022, et même le printemps 2023, laissait présager un aboutissement rapide et heureux pour ce marché, de récents propos tenus par le Premier ministre, Marcel Ciolacu, laissent penser que cet achat n’est plus prioritaire. La Roumanie devant faire des arbitrages, et étant donné la neutralisation effective de la flotte russe de la mer Noire du fait des actions ukrainiennes, Bucarest pourrait ainsi privilégier dans un premier temps la modernisation de ses forces terrestres (avec 300 chars) et aériennes (une quarantaine de F‑35) plutôt que la Forțele Navale Române. Une conclusion qui ne ferait ni les affaires de la France, très investie auprès de Bucarest depuis le déclenchement de la guerre, ni de Naval Group, qui n’arrive toujours pas à s’imposer sur le marché européen des sous-marins, malgré de très beaux succès au Chili, au Brésil, en Malaisie et en Inde, et quelques sérieux prospects en cours dans la région Asie-Pacifique.
Un saut capacitaire indéniable
Cette observation relativement concise du marché européen des sous-marins à propulsion diesel-électrique et anaérobie nous permet de confirmer une tendance ferme : tout comme en Asie, les marines ont saisi les enjeux contemporains et entament une montée en gamme assurément nécessaire. Les opérations littorales demeurent naturellement au cœur des préoccupations des États dotés d’une sous-marinade dite conventionnelle, mais celles-ci sont désormais teintées d’hybridité et étendues à l’ensemble du plancher océanique, d’autant plus qu’un nombre croissant de ressources naturelles et d’infrastructures énergétiques ou de communications entrent dans le périmètre des missions de protection des marines modernes. Aussi, et ce n’est en rien décorrélé, faut-il constater l’émergence d’ambitions nouvelles de ces acteurs, qui ne se limiteront plus à des missions littorales, mais envisagent bien désormais des missions de type océanique. L’Atlantique et l’Arctique semblent en ligne de mire, conformément aux objectifs de l’OTAN.
Ces prétentions sont rendues crédibles par des percées technologiques qui permettent aux nouveaux SSK de présenter des mensurations et des performances aptes à ces missions étendues. Plus grands, plus lourds, plus endurants, mieux armés et mieux connectés… le saut capacitaire qui sera réalisé entre 2025 et 2035 en Europe est indéniable. De plus, un bref regard sur les « concepts ships » de Naval Group ou de TKMS pour l’après-2040 laisse augurer des sous-marins conventionnels encore plus imposants (établissant une norme autour de 100 m de long pour 4 000 à 5 000 t en plongée), discrets (parfois 100 % électriques), et surtout armés pour le combat multimissions. Ces flottes modernisées devraient de surcroît bénéficier de la masse générée par l’arrivée de grands drones sous-marins, sur lesquels l’ensemble des marines annonce porter un intérêt.
Notes
(1) Depuis le retrait du Casabianca, et en attendant l’arrivée en service du nouveau Tourville, la France ne compte plus que cinq SNA en service actif. Outre son dernier SNA du type Trafalgar, la Royal Navy opère cinq bâtiments de la classe Astute, deux autres étant en construction.
(2) Amiral Pierre Vandier, « Quelle place pour la puissance navale en 2022 ? », Diplomatie-Les Grands Dossiers, no 68, juin-juillet 2022.
(3) À l’heure où nous écrivons ces lignes, il faut noter que ThyssenKrupp, maison mère de TKMS, souhaite céder son chantier naval à un investisseur financier. Il n’est pas exclu que l’État allemand prenne des parts dans la société afin de la soutenir, avant une probable entrée en Bourse.
Légende de la photo en première page : D’abord commercialisé conjointement avec l’Espagne, puis uniquement par la France, le Scorpène a été un vrai succès à l’export, mais n’a pas su séduire le marché européen. Sur le marché néerlandais, Naval Group espère placer un nouveau type de sous-marin plus moderne dérivé de la classe Suffren française, mais doté d’une propulsion conventionnelle. (© Naval Group)