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Quelle guerre sous-marine en cas de conflit ouvert dans le détroit de Formose ?

La future génération de SNLE chinois du type 096 équipée du missile JL-3 de grande portée pourrait cependant être suffisamment silencieuse pour leur permettre d’accomplir des patrouilles en se diluant dans d’immenses zones océaniques comme le font les sous-marins occidentaux. Sous réserve de pouvoir sortir des mers proches en franchissant les détroits que ne contrôle pas la Chine. La stratégie maritime établie en 1984 à la demande du président Reagan mettait à profit cette supériorité acoustique des SNA américains pour pister les SNLE soviétiques sans que ceux-ci ne parviennent à les contre-détecter. Le Kremlin, informé de la vulnérabilité des bateaux par ses espions, en particulier par ceux de la famille Walker, a compris que les capacités de seconde frappe nucléaire de l’URSS étaient dès lors fortement obérées, tout autant que sa dissuasion. C’est ce que veut reproduire l’US Navy en envoyant des SNA en mer de Chine méridionale pour pister les SNLE chinois. Ces missions, hautement classifiées, ne font bien évidemment pas la une des journaux, sauf en cas d’accident. C’est ce qui s’est produit le 2 octobre 2021 quand le sous-marin à propulsion nucléaire SSN Connecticut de la classe Seawolf a heurté un mont sous-marin non répertorié alors qu’il opérait dans les « eaux internationales » en mer de Chine méridionale. Onze membres d’équipage ont été blessés par la force de l’impact. Le Connecticut a dû faire surface en raison des dommages subis et retourner à Guam pour des réparations d’urgence.

La lutte pour le contrôle des détroits

La première chaine d’iles est tout à la fois un avantage et une difficulté géostratégique pour la Chine. D’une part, en bloquant les détroits et en occupant certaines iles, elle lui permet de constituer une barrière derrière laquelle elle peut empêcher l’accès à ses côtes par une stratégie de déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD, anti-access / area denial, en anglais). D’autre part, elle doit ouvrir le carcan, au moins momentanément, pour permettre à ses forces navales et en particulier à ses sous-marins d’accéder à l’océan mondial et ne pas en laisser le contrôle à l’US Navy et à ses alliés proches. Ceux-ci (Japon et Corée du Sud principalement) auraient pour mission principale de protéger les flux logistiques américains dans l’océan Pacifique.

La cartographie précise des fonds marins bénéficie d’une priorité toute particulière en Chine tant elle est indispensable à la navigation discrète des sous-marins. La mer de Chine méridionale est séparée des océans Indien et Pacifique par de nombreuses iles dont 17 000 sont indonésiennes et 7 000 philippines. Elles sont séparées les unes des autres par des détroits mal hydrographiés que seuls les pêcheurs locaux connaissent de façon empirique. La capacité de pouvoir y naviguer en sécurité et à l’insu de la puissance archipélagique et de grandes puissances navales confère au pays qui en a le secret un avantage géostratégique de valeur. Une cartographie précise, et non partagée, est un élément de puissance maritime de premier ordre. La Chine mène des campagnes hydrographiques très actives en mettant à profit de très nombreux drones et planeurs sous-marins partout, y compris dans les eaux territoriales sans demande d’autorisation d’accès ni partage des résultats.

Les capacités sous-marines de Taïwan

Le 28 septembre 2023, Taïwan a présenté le premier de ses sous-marins construit localement dans le cadre du programme IDS (Indigenous defense submarine). Il s’agit avant tout d’un événement politique majeur qui met une fois de plus en évidence les remarquables capacités de recherche, de développement d’innovation et d’industrialisation de Taipei. C’est aussi un exemple de coordination efficace des soutiens apportés par plusieurs pays étrangers, malgré les opérations d’influence de tous ordres auxquelles ils sont soumis par Pékin. La Chine enregistre une déconvenue de premier plan en n’étant pas parvenue à empêcher le programme de sous-marins taïwanais d’aboutir dans les délais impartis. Taïwan souhaite à terme disposer d’une flotte de 10 sous-marins — dont deux anciens de fabrication néerlandaise — et les équiper de missiles.

Mener localement la conception de l’IDS a permis de l’adapter précisément aux conditions d’emploi dans le théâtre principal d’opérations où il est appelé à combattre : les trois mers qui baignent les côtes de la Chine continentale (les mers de Chine et la mer Jaune) et l’Ouest pacifique. Pour mémoire, avec des fonds entre 30 et 50 mètres, la bathymétrie du détroit de Taïwan est défavorable à la navigation sous-marine, ce qui conduira les sous-marins à opérer de préférence dans l’océan et à proximité des principaux détroits qui y donnent accès (principalement ceux de Bashi et de Miyako). Les distances à parcourir pour rallier les zones de patrouilles depuis leur port base sont courtes. Les concepteurs de ces sous-marins ont pu privilégier la mobilité tactique qui leur confère l’agilité au combat au détriment d’une mobilité stratégique permettant de longs transits discrets. Pour un sous-marin à propulsion classique, cela revient à préférer l’installation d’une batterie de très grande capacité (au Li-ion probablement) permettant au sous-marin de fortes vitesses pendant des temps significatifs en opération plutôt qu’un système anaérobie assurant des déplacements discrets de plusieurs semaines à faible vitesse, mais dont l’encombrement limite la taille de la batterie.

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