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Quelle guerre sous-marine en cas de conflit ouvert dans le détroit de Formose ?

Le 12 septembre 2023, la destruction au bassin du sous-marin russe Rostov-sur-le-Don est là pour rappeler que les systèmes d’armes sont très vulnérables dans leurs bases. En ce qui concerne Taïwan, la RPC dispose des moyens de les détruire dès les premières heures d’un conflit de très haute intensité. Seuls les sous-marins qui seront alors à la mer pourront poursuivre le combat. Avec huit sous-marins modernes, sous réserve de disposer d’une infrastructure industrielle de maintien en condition efficace et d’un nombre suffisant d’équipages formés et entrainés, la moitié d’entre eux peuvent à tout moment être opérationnels à la mer avec leurs armes de combat. Avec deux équipages par bateau, ce ratio peut être encore amélioré. Notons que Taïwan a agi sagement en ayant conservé tous ses sous-marins, même ceux de plus de 70 ans, ce qui a permis de conserver une base de personnel rompu à la navigation sous-marine. Il va lui falloir augmenter le nombre des sous-mariniers nécessaires à l’armement des nouvelles unités, sans le faire au détriment de la qualité. Toutes les marines du monde sont confrontées à un phénomène de désaffection des jeunes pour les conditions de vie spartiates à bord des sous-marins, en particulier à cause de la coupure des réseaux sociaux. Il n’y a pas de raison pour que la RPC n’y soit pas également soumise.

Verrouiller le carcan pour bloquer l’APL-M

En cas de conflit à propos de Taïwan entre les États-Unis avec leurs alliés d’une part et la Chine et ses éventuels partenaires d’autre part (Corée du Nord et Russie), le contrôle de la première chaine d’iles serait le centre de gravité du conflit. Il aurait pour conséquence de mettre en place le blocus de la RPC qui dépend principalement de la mer pour ses importations de matières premières et énergétiques ainsi que ses exportations de pays manufacturés.

La première réponse de Taïwan et de ses probables alliés américains serait de détruire par des missiles à longue portée les trois bases aéronavales avancées construites sur les iles artificielles des Spratleys, clés du dilemme de Malacca et points d’appui du bastion chinois. Ce sont des cibles faciles à atteindre, parce qu’immobiles. Les capacités d’action aérienne chinoises dans le Sud de la mer de Chine méridionale en seraient fortement amoindries.

Il s’agirait aussi de fermer les détroits pour interdire la sortie de l’APL-M dans le Pacifique. Cela peut se faire de plusieurs façons complémentaires : minages défensifs et offensifs des points de passage obligés, barrages par des sous-marins d’attaque à l’est de la première ligne d’iles, au débouché des détroits les plus profonds. Pour empêcher la prise de contrôle par les puissants moyens amphibies de l’APL-M des iles philippines bordant les principaux points de passage, les trois nouveaux U.S. Marine Littoral Regiments y seraient positionnés avec leurs homologues japonais et philippins. Les neuf bases de l’EDCA (American-Philippines Enhanced defense cooperation agreement) seraient réactivées.

Politiquement, plutôt que de vouloir créer une grande alliance en Indo-Pacifique ou de vouloir élargir l’OTAN aux démocraties de la région, mieux vaudrait multiplier les alliances croisées dont beaucoup existent déjà et dont les objectifs souvent complémentaires correspondent à des besoins spécifiques aux différents théâtres d’opérations (Quad, AUKUS, Five Eyes, Thaïlande, Japon, Corée du Sud…). En parallèle, les États-Unis continueraient à empêcher la Chine de nouer des alliances dans le Pacifique par une activité diplomatique et commerciale intense pour l’empêcher d’y acquérir des bases autrement que par la force. Et bien sûr, les États-Unis et leurs alliés continueraient à soutenir Taïwan et à l’approvisionner en armes, munitions, vivres et flux énergétiques.

Faut-il craindre une attaque de Taïwan ?

Alors que les élections présidentielles qui se sont déroulées le 13 janvier 2024 sur l’ile n’ont pas changé le parti au pouvoir depuis huit ans et que celui-ci est favorable au maintien du statu quo, faut-il craindre une attaque de Taïwan en vue d’une « unification » de l’ile à la Chine continentale ?

La réponse est affirmative en particulier en raison de l’échec économique de la politique du président Xi Jinping. Le nombre incroyablement élevé de jeunes au chômage (plus de 20 % des 16-24 ans en juin 2023) dans un pays communiste est d’autant plus frappant que Taïwan jouit d’une économie très prospère démontrant ce faisant sa supériorité sur le socialisme « avec les caractéristiques chinoises ». La tentation d’une fuite en avant nationaliste de Pékin est d’autant plus à craindre que la situation immobilière de la Chine continue de se détériorer et que ses forces militaires, avant tout navales, ne cessent de croitre. Elles le font à un rythme encore jamais vu dans l’histoire, une situation d’autant plus inquiétante de la part d’un pays qui prétend ne pas avoir d’autre volonté expansionniste. Les deux principaux partis de gouvernement de Taïwan s’accordent à penser que la RPC pourrait ouvrir les hostilités en 2027. Tous deux se rejoignent aussi pour estimer qu’elle ne le fera pas, car Taïwan sera alors prête à se défendre avec succès. Méthode Coué ? Quelle sera la position de la prochaine administration américaine, début 2025 ?

Légende de la photo en première page : Le 28 septembre 2023, moins de deux ans après le début de sa construction, était inauguré en grandes pompes le premier sous-marin de fabrication nationale de Taïwan. Lors de son arrivée au pouvoir en 2016, la présidente Tsai Ing-wen avait lancé un programme de construction national de sous-marins avec l’objectif de livrer huit submersibles. (© Taiwan Presidency/Wang Yu Ching)

Article paru dans la revue Diplomatie n°126, « Taïwan : statu quo ou tournant stratégique ? », Mars-Avril 2024.
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