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Un retour à la question du convertible ?

En matière d’aéronavale, l’aéronef détermine le bâtiment comme les capacités de l’aéronavale. Mais si l’avion catapulté, certes polyvalent, est trop lourd et le drone trop léger pour être fonctionnellement souple, un compromis ne peut-­il pas être trouvé avec l’emploi d’appareils convertibles ? Quelles significations opérationnelles, mais aussi géostratégiques cela peut-­il avoir ?

C’est un fait : l’aéronef détermine le bâtiment, et vice versa. Si le Royaume-­Uni peut se doter de trois « croiseurs » de classe Invincible, c’est en fonction de l’encombrement des Harrier, de leurs modalités de mise en œuvre, mais au prix de capacités relativement réduites, tant des appareils eux-­mêmes – ce qui évoluera dans les années 1990, tardivement donc – que du groupe aérien embarqué, dont le nombre de machines est limité. Le Porte-­avions de nouvelle génération (PANG) voit quant à lui un accroissement de sa taille et de son déplacement du fait même des caractéristiques du NGF (New generation fighter), composante pilotée du SCAF. À l’époque, le passage des États-Unis au porte-­avions géant fut imposé par la nécessité d’embarquer des bombardiers nucléaires AJ Savage puis A‑3 Skywarrior – autrement plus lourds que les chasseurs (1).

Cela pose donc la question du juste aéronef permettant de pérenniser l’utilité d’un porte-avions. Or le spectre capacitaire des appareils embarqués est, pour l’heure, fonction de leur intelligence embarquée et de facteurs tels que leurs emports, en diversité et en masse. À ce jeu, le drone est pour l’instant utile, mais ses capacités sont encore limitées : rares sont ceux pouvant tirer des missiles antinavires. De plus, la guerre électronique et la rupture des liaisons de données restent une menace de premier ordre, qui s’ajoute aux menaces plus traditionnelles. On peut certes imaginer des drones de combat plus lourds et plus polyvalents, dotés d’intelligence artificielle et de contre-­mesures, mais leurs modalités de mise en œuvre nécessiteraient des porte-­avions STOBAR ou CATOBAR, ou des LHD lourds. Leur prix serait probablement proche de celui d’un appareil de combat piloté.

Deux options intermédiaires existent pourtant. La première est déjà mise en œuvre : l’arrivée des F‑35B permet non seulement de remplacer la famille Harrier – dans ses branches britannique ou américaine –, mais aussi d’accroître le champ des possibles (2). La deuxième est plus radicale et consiste à partir non de l’avion, mais de l’hélicoptère, et à considérer les options liées aux convertibles (« tiltrotors »), à rotors basculants. Basiquement, ces machines couplent les avantages du décollage et de l’atterrissage vertical avec une vitesse de croisière plus importante que celle de l’hélicoptère et, potentiellement, un plus grand rayon d’action et une charge utile accrue, que ce soit en masse et en volume. Pour les marines, cela implique également des bâtiments plus simples, moins coûteux et éventuellement plus petits ; et une revalorisation du concept de porte-­aéronefs et de sea control ship (3).

Séduisante en théorie, cette option ne va pourtant pas de soi. D’une part, parce que leur maturation technologique a été compliquée : l’expérience du MV‑22 Osprey, dont les premiers travaux de conception remontent aux années 1980, montre que sa fiabilisation a été longue et s’est avérée coûteuse, en vies comme budgétairement (4). Cela n’est que le reflet de la complexité de la solution technologique du basculement des rotors… et leur connexion permettant la continuation du vol en cas de perte de l’un des deux moteurs. D’autre part, parce que le nombre de designs de convertibles est pour l’heure extrêmement limité et que leur navalisation, si elle est native pour le MV‑22, n’implique pas – du moins encore – une réelle polyvalence en termes de capacités de combat naval.

Cependant, il faut aussi constater que ces options ne sont pas inexistantes. Le V‑22 Osprey a certes d’abord été conçu comme une machine de manœuvre au bénéfice des Marines, comme transport de forces spéciales pour l’US Air Force et comme transport pour l’US Navy (COD – Carrier on board delivery). Mais dès la fin des années 1980, un SV‑22 de lutte anti-­sous-marine (ASM) est évoqué, la machine étant considérée comme pouvant recevoir rapidement un sonar à immersion variable, une boule optronique, un radar ventral et des torpilles. Du reste, sa charge utile – jusqu’à neuf tonnes dans un compartiment cargo volumineux – augure la possibilité d’une soute. Il resterait cependant limité à des fonctions ASM, antinavires ou encore de ravitaillement en vol. Sa manœuvrabilité ne lui permettrait pas de devenir une plateforme de défense aérienne. Mais avec un coût unitaire de plus de 70 millions de dollars et l’heure de vol de l’ordre des 10 000 dollars, le V‑22 reste compétitif par rapport à un F‑35B (135 millions, 42 000 dollars l’heure de vol).

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