L’Ukraine, devenue indépendante et un temps productrice du T‑80UD, envoie en 1993 un démonstrateur au Pakistan. Karachi souhaite renouveler sa flotte de chars et entame en 1996 des tests intensifs de T‑80UD qui débouchent sur une commande de 320 chars en deux versions, l’Objekt 478B et sa version export Objekt 478BEh. Les livraisons débutent en 1997 avec l’envoi des 15 premiers exemplaires. Mais, ne voulant pas froisser son allié indien, la Russie proteste avec véhémence contre ce contrat, car 70 % des composants du T‑80 sont produits sur son sol. Ainsi, pour ménager Delhi, Moscou n’autorise pas l’exportation vers le Pakistan de quelques composants importants comme le canon 2A46‑M2, la tourelle moulée et divers composants électroniques.
Kiev se voit alors dans l’obligation de développer ses propres composants, dont une nouvelle tourelle mécanosoudée qui sera en partie reprise sur le T‑84 Oplot exporté en Thaïlande. Les livraisons se poursuivent donc et, entre février et mai 1997, 20 chars sont expédiés, suivis par 35 autres, prélevés sur un stock destiné initialement à l’Ukraine. Cet épisode chaotique se termine en 1997 avec le début de la livraison de 285 T‑80UD entièrement ukrainiens, qui se poursuit jusqu’au début de 2002. En mars 2023, des médias pakistanais rapportent que les États – Unis achèteraient à Karachi 44 exemplaires de la première tranche, donc avec tourelle moulée, en échange d’une aide financière de l’Occident. D’autres nations vont se doter du T‑80, comme l’Égypte en 1997 (14 T‑80UK et 20 T‑80U) et le Yémen (31 T‑80U en 2000 et 66 T‑80BV achetés à la Biélorussie). En 1992, le Royaume-Uni achète en toute discrétion un T‑80U à des fins de tests. Cet achat est rendu public en 1994 après que le char a été expédié aux États – Unis, à l’Aberdeen Proving Ground.
L’expérience opérationnelle
Dans les années 1990, le T‑80 est déployé lors des deux guerres de Tchétchénie, où il ne rencontre pas un franc succès. Cette déconvenue ne semble pas remettre en cause les qualités intrinsèques du char, mais est plutôt d’ordre tactique avec un mauvais emploi surtout en zones urbaines, comme à Grozny en décembre 1994. Dépourvus de véhicules d’accompagnement spécifiques pour assurer leur sûreté rapprochée, les T‑80 ont été détruits à bout portant par des roquettes antichars tirées dans les angles morts à partir de soupiraux. Plus grave, d’autres ont été détruits par des tirs fichants de roquettes tirées à partir des étages des immeubles, sans possibilité de riposte, le débattement en site de l’armement principal étant insuffisant. C’est la raison pour laquelle la Russie a développé à l’issue de ce sanglant conflit le BMP‑T Terminator, véhicule d’accompagnement d’unités blindées en zones urbaines, surarmé et doté d’un impressionnant débattement en sites positif et négatif pour engager des objectifs hors d’atteinte pour un char de combat.
Décrié, le T‑80 ne pas faire l’unanimité. L’état – major russe mise alors sur le T‑90, que l’on peut qualifier de modèle ultime de la série des T‑72 en attendant l’arrivée hypothétique du char lourd T‑14 (1). Pour pallier le report de son entrée en service, Moscou envisage de développer la production du T‑90 tout en poursuivant néanmoins la modernisation de ses T‑80 malgré les déboires rencontrés en Tchétchénie. Avec le déclenchement du conflit en Ukraine, la Russie est confrontée à des pertes de véhicules blindés et surtout de chars qui, pour nous Occidentaux, sont hors norme. En ce début d’année 2024, elles avoisineraient les 3 000 chars détruits, endommagés ou capturés, dont environ 700 T‑80, toutes versions confondues. Afin de compenser ces pertes, la Russie décide à l’été 2023 de standardiser sa production de chars en se focalisant sur un modèle unique, facile à produire et bon marché. Avec un prix unitaire de trois millions de dollars, le T‑80 apparaît comme le char idéal pour devenir la colonne vertébrale des forces blindées russes comme le fut en son temps le T‑34 développé à Kharkov.
Produire massivement, uniformiser l’instruction des équipages et des maintenanciers tout en ayant à disposition d’immenses stocks de pièces de rechange semble être devenu le maître mot pour Moscou. Le choix se porte donc sur le T‑80B, pour différentes raisons. Tout d’abord, la Russie possède plus de 3 000 caisses en stock dans les immenses parcs disséminés dans le pays. Par ailleurs, le processus de modernisation et de remise en condition a été facilité par l’expérience acquise dès 2017. Le 24 août, un contrat avait été signé entre le ministère de la Défense russe et les firmes SKBTM et JSC Omsktransmash, portant sur la modernisation de 62 T‑80B qui prennent la dénomination T‑80BVM Obr. 2017. Le T‑80BVM a été testé avec succès lors de l’exercice « Zapad » de 2017, lors duquel il a fait bonne impression. Le premier bataillon à percevoir les chars du contrat initial de 2017 est le 60e de la 200e brigade de fusiliers motorisés stationnée à Petchenga, sur la frontière norvégienne.
La première tranche de 31 T‑80BVM Obr. 2017 a été perçue en 2019, et l’effectif est passé à 41 en 2021. Vient ensuite la compagnie de chars de la 61e brigade d’infanterie navale stationnée sur la base de Spoutnik, qui a perçu ses 10 T‑80BVM en juillet 2020. Avec sa structure ternaire à trois pelotons à trois chars plus un de commandement, cette compagnie a pour mission de protéger les installations de la flotte du Nord de la péninsule de Kola (Mourmansk) et d’effectuer des assauts amphibies en zones arctiques. Elle a été suivie par le bataillon de chars de la 4e division blindée (Kantemirovskaya) de la 1re armée blindée de la Garde du district ouest, qui recevront 10 chars en août 2020 et 10 autres en décembre 2020.
En janvier 2021, un nouveau contrat est signé pour l’achat de 400 chars, pour un montant indéterminé. En avril 2021, c’est au tour du bataillon de chars de la 64e brigade indépendante de la 35e division de combat inter-
armes stationnée dans le district de Khabarovsk, en Extrême – Orient. Les 20 derniers exemplaires de la commande initiale sont affectés à l’école des blindés de Kazan, pour l’instruction. Le 24 février 2022, les chars des 61e et 200e brigades de fusiliers motorisés, ainsi que ceux de la 4e division blindée qui étaient en exercice en Biélorussie depuis octobre 2021, prennent part à l’invasion de l’Ukraine. La moitié des chars engagés par ces trois unités seront détruits ou capturés lors des premières semaines de l’offensive.