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T-80. Le vétéran de la guerre froide finalement en action

Malgré ces pertes, les retours d’expérience sont des plus flatteurs et vont conforter l’état-major russe dans son choix. Bien qu’il demeure un souci pour les logisticiens avec son carburant, le T‑80BVM est loué par ses équipages, qu’ils soient russes ou ukrainiens. Sans atteindre les standards occidentaux, il est confortable au quotidien, grâce à la souplesse de sa turbine à gaz GTD‑1250TF qui délivre 1 250 ch. Il est rapide, possède une bonne agilité en tout – terrain grâce à la linéarité de la puissance délivrée par la turbine, associée à des accélérations franches, deux facteurs qui sont un gage de survie en combat de rencontre, tout en faisant chuter la consommation qui était problématique en Tchétchénie. De plus, la turbine autorise un départ par − 50 °C en trois minutes contre 40 pour un moteur diesel classique, une vitesse de 70 km/h et désormais une autonomie de 500 km contre 335 auparavant. Elle est aussi beaucoup plus fiable dans les conditions extrêmes du champ de bataille, car il y a beaucoup moins de pièces mobiles en friction, ce qui nécessite moins d’entretien et assure une plus grande longévité par rapport à un moteur classique.

Autre avantage, le T‑80 reste, avec un poids de 46 t, un char moyen et non pas lourd comme des chars occidentaux, ce qui facilite grandement la récupération sur le champ de bataille, aspect auquel se heurtent actuellement les Ukrainiens qui n’ont pas suffisamment de véhicules de dépannage lourds pour remorquer les chars occidentaux abandonnés, les exposant à la propagande russe. De plus comme les autres modèles T, sa silhouette est basse grâce au carrousel à munitions implanté sous la tourelle, mais cette implantation provoque la mort instantanée des deux membres d’équipage en cas de coup au but direct.

Les améliorations sont nombreuses sur le T‑80BVM et portent tout d’abord sur la protection, avec l’adoption du blindage Relikt. Son développement fait suite à la mise en service de la nouvelle munition – flèche américaine tirée par le M‑1 Abrams : la M-892A3. Il recouvre le glacis avant de la caisse alors que la poupe est protégée par une grille anti – RPG. La protection latérale de la caisse est renforcée par des sacs de toile fixés sur les jupes. Observée pour la première fois en 2019, cette protection est dénommée 4S24. Elle se compose de 12 ou 13 sacs censés contenir des briquettes réactives. Ils sont fragiles et, une fois éventrés, il s’est avéré qu’ils ne contenaient que des billes d’acier ou du sable. La tourelle moulée à l’aspect futuriste est protégée sur son arc avant par des caissons en pointe de flèche 4S23 sur lesquels sont suspendus des filets en acier anti – RPG. Sur ses flancs sont installés des caissons 4S22 alors que la nuque est elle aussi grillagée.

L’armement principal se compose du canon 2A46‑M5 de 125 mm dont la longévité est estimée à 1 500 coups et la précision améliorée de 15 à 20 % par rapport au M‑1. Ce canon tire les munitions antichars 3BM42 et 3VBM17 Mango qui percent 230 mm d’acier à 2 000 m, le missile antichar AT‑11 Sniper ainsi que les munitions – flèches Svinets‑1 (carbure de tungstène) et Svinets‑2 (uranium appauvri) nécessitant l’adoption d’un nouveau chargeur automatique. Ces munitions percent jusqu’à 630 mm d’acier à 2 000 m. Le tube est couplé à une nouvelle conduite de tir et à la caméra thermique Sosna‑U (« sapin ») dérivée de la caméra Catherine française de Thales. Construite sous licence en Russie par Vologoda Optical et par le biélorusse Peleng, elle permet le tir en mouvement jusqu’à 3 000 m et l’acquisition de cibles jusqu’à 5 000 m de jour et 3 000 m de nuit. Seule ombre au tableau, comme sur tous les chars russes, l’unique marche arrière est conservée. Ils n’ont pas été conçus pour les actions rétrogrades alors qu’un char occidental va aussi vite en arrière qu’en marche avant. Ainsi, des deux côtés, en Ukraine, nombre de chars ont été détruits en voulant se soustraire aux coups de l’ennemi en marche arrière. À la suite des retours d’expérience ukrainiens, le T‑80BVM va faire l’objet à partir de septembre 2023 de plusieurs améliorations, sur les chars produits ou reconditionnés dans l’usine d’Omsk. Ce nouveau standard est dénommé BVM Obr. 2023. Il se caractérise par l’adoption d’une nouvelle « cage à oiseau » anti – drones d’une hauteur de 78 cm, recouverte par des briquettes de blindage réactif 4S20 ou 4S22.

Mais la nouveauté la plus spectaculaire est l’installation de deux antennes sphériques du brouilleur anti – drones Volnorez fixées magnétiquement sur le toit de la tourelle, au – dessus du masque. Travaillant sur quatre types de fréquences et sur une plage de températures de − 40 °C à + 60 °C, le Volnorez est donné pour brouiller des drones statiques jusqu’à 120 m et des drones en mouvement jusqu’à 50 m. Il se monte sur n’importe quel char ou véhicule et est alimenté par une simple prise 24 volts. Pour cause d’embargo, la caméra thermique Sosna‑U n’est plus disponible. Elle est dorénavant remplacée par la caméra 1PN96MT‑02 initialement destinée aux T‑62MV Obr. 2022. Montée également sur les T‑90M, cette caméra est moins performante, avec la détection d’un objectif jusqu’à 3 500 m. Avec la disparition de la Sosna‑U, on assiste également au retour de la lunette tireur 1G46 qui avait été supprimée pour cause de double emploi, ce qui induit une révision de l’ergonomie du poste tireur. Concernant la caisse, les barres de torsion ont été renforcées, améliorant le confort, et un système automatique de tension de chenilles a été installé. En septembre 2023, 15 T‑80BVM Obr. 2023 sont sortis des chaînes d’Omsktransmash sur les 150 commandés pour la première tranche. 

Note

(1) Voir Pierre Petit « Le T‑90, dernier souffle soviétique de la guerre froide », Défense & Sécurité Internationale, no 140, mars – avril 2019 et « Retour sur le défilé russe du 9 mai 2015 : analyse de la famille Armata », Défense & Sécurité Internationale, no 117, septembre 2015.

Légende de la photo en première page : Char vole ! Démonstration de mobilité d’un T-80 doté de ses bavettes en caoutchouc au niveau de la tourelle. (© Evgeny Mogilnikov/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI n°170, « SUKHOI SU-57 : le « Félon » russe se dévoile », Mars-avril 2024.
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