Après plus de vingt ans d’engagement dans des guerres dont les couts humains et financiers continuent de peser sur l’économie et la politique du pays, les États-Unis cherchent par tous les moyens à éviter des guerres perçues comme non nécessaires. Car, en plus d’une possible absence de soutien de la part de la population américaine ou du Congrès, celles-ci auraient en effet comme conséquence d’affaiblir Washington face à Pékin.
Les priorités des États-Unis sont aujourd’hui systémiques plutôt que régionales. La principale compétition se déroule entre les États-Unis, la République populaire de Chine (RPC) et la Russie. Toutefois, comme l’indique la stratégie de sécurité nationale 2022 publiée par la Maison-Blanche, « la Russie et la RPC posent des défis différents. La Russie représente une menace immédiate pour le système international libre et ouvert, en bafouant de manière irresponsable les lois fondamentales de l’ordre international actuel, comme l’a montré sa guerre d’agression brutale contre l’Ukraine. La RPC, en revanche, est le seul concurrent qui a à la fois l’intention de remodeler l’ordre international et, de plus en plus, la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique nécessaire pour atteindre cet objectif » (1). Face aux menaces chinoises et russes, mais également face à l’islamisme radical, aux tensions au Proche-Orient, à l’Iran ou à la Corée du Nord, l’objectif prioritaire des États-Unis est d’éviter que ses forces armées ne soient trop dispersées sur différents théâtres d’opérations. Au contraire, la stratégie de ses adversaires (parfois coordonnée) est de veiller à ce que l’armée américaine soit obligée d’être présente partout. Dans une telle situation, la stratégie américaine sous l’administration Biden s’appuie sur six éléments principaux que nous développons ci-dessous : le renforcement des alliances et partenariats militaires, tout en promouvant le multipartage ; la priorisation de l’Indo-Pacifique comme théâtre d’opérations majeur ; le positionnement de l’Europe en première ligne face à la Russie ; l’approche du cas par cas et du « by-with-through » [par-avec-à travers] dans les autres régions ; le développement d’une armée américaine « win-hold-win » [gagner-tenir-gagner] ; et une prise en compte des limites des réalités de la politique intérieure.
Renforcer les alliances et les partenaires
Focalisant leur attention et leurs ressources sur les guerres de haute intensité avec la Chine ou la Russie, les États-Unis veulent éviter les boots on the ground [« poser les bottes sur le sol »] dans les régions considérées comme secondaires pour le maintien du leadership américain et de l’ordre mondial. Néanmoins, l’administration Biden a pris conscience que cet objectif ne pourra être atteint qu’en rétablissant la confiance avec les alliés et partenaires, confiance qui a été endommagée par son prédécesseur. Dès lors, l’objectif prioritaire de Washington est de (re)façonner et de (re)construire la confiance des partenaires et des alliés, ce qui est confirmé dans la stratégie de sécurité nationale de 2022, qui explicite l’objectif de « construire la coalition de nations la plus forte possible pour renforcer notre influence collective afin de façonner l’environnement stratégique mondial et de résoudre les défis communs ». En raison de son déclin relatif et de « l’axe Russie-Chine-Iran-Corée du Nord », Washington a besoin de s’appuyer sur ses alliés et partenaires. Ce même document indique également qu’« une OTAN forte et unifiée, nos alliances dans l’Indo-Pacifique et nos partenariats de sécurité traditionnels ailleurs ne se limitent pas à dissuader les agressions ; ils fournissent une plate-forme pour une coopération mutuellement bénéfique qui renforce l’ordre international ». Pour compenser son déclin relatif, Washington a ainsi besoin à la fois d’un plus grand nombre d’alliés et de partenaires (aspect quantitatif), mais également de se reposer de plus en plus sur eux (aspect qualitatif). Malgré leur imperfection, les alliances et partenariats restent des multiplicateurs de puissance. En effet, comme l’a dit Winston Churchill, « la seule chose plus difficile que de se battre avec des alliés, c’est de se battre sans eux ». Derrière cette logique de renforcement des partenariats et alliances, et donc de constitution d’un multiplicateur de force, se trouve la volonté de veiller à ce que ces derniers prennent plus de responsabilités en matière de sécurité. Il s’agit avant tout pour Washington de veiller à ce qu’ils rentrent dans ce que nous appelons le multisharing : partager les risques, les couts, les charges et les tâches. Ce faisant, les États-Unis privilégient la doctrine Guam, développée sous Nixon et celle du leading from behind [« diriger de l’arrière »] de l’administration Obama.
Prioriser l’Indo-Pacifique
Pour les États-Unis, seule la Chine serait capable de remettre en question l’ordre libéral. Selon le secrétaire d’État Blinken, « la Chine est le seul pays qui possède la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique nécessaire pour remettre sérieusement en question le système international stable et ouvert, l’ensemble des règles, des valeurs et des relations qui permettent au monde de fonctionner comme nous le souhaitons, parce qu’il sert en fin de compte les intérêts et reflète les valeurs du peuple américain » (2).
Face à l’émergence de la Chine et la possibilité d’un affrontement direct ou indirect entre les deux pays (entre autres autour de la question de Taïwan ou des Philippines), les États-Unis souhaitent intégrer davantage leurs alliés et partenaires de la région dans leur posture de dissuasion, comme le confirme la stratégie indo-pacifique publiée en 2022 (3). Sans que la liste ne soit exhaustive, nous pouvons citer les exemples suivants comme illustration de cette politique :
• renforcement des relations avec les Philippines en mai 2023 grâce à de nouvelles lignes directrices bilatérales en matière de défense, qui étendent le traité de défense mutuelle à la mer de Chine méridionale ;