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L’heure de gloire des amphibies à pont continu ?

Depuis le début des années 2000, les grands bâtiments amphibies à pont continu connaissent un réel regain d’intérêt. D’une part, leurs fonctions amphibies en font en soi des bâtiments de premier rang (1), générateurs d’effets politiques et opératifs. D’autre part, leurs dimensions en font de véritables plateformes aéronautiques qui confinent au sea control ship des années 1970-1980… Avec des capacités supérieures.

Ce sont les Marines et l’US Navy qui, dès les années 1970, s’engagent les premiers dans la voie du grand bâtiment amphibie à pont continu : dès 1976, cinq Landing helicopter assault (LHA) de classe Tarawa entrent en service. Le concept est alors révolutionnaire, ambitionnant de disposer d’une forte capacité en hélicoptères et en véhicules de combat, permettant de former le cœur d’un dispositif amphibie dont l’unité de référence devient la Marine expeditionary unit (MEU), de la taille d’un gros bataillon. La Navy récidive dans les années 1980 avec les Landing helicopter docks (LHD) Wasp, plus gros et aux capacités aéronautiques plus importantes – jusqu’à 40 hélicoptères (2). Pratiquement, le navire est la résultante d’une stratégie des moyens axée sur la vitesse de projection des hommes et du matériel. La période d’une vingtaine d’années qui suit l’entrée en service du Wasp, en 1989, est intéressante dans l’évolution du concept même de bâtiment amphibie.

Du LHD au porte-hélicoptères

Après les trois LPD italiens de classe San Giorgio mis en service ou sur le point de l’être à la fin des années 1980 – ne disposant pas de hangar aéronautique, ils sont surtout à considérer comme des transports de chars –, il faut encore attendre dix ans pour voir les prémices d’une transposition du concept. Entre 1998 et 2003, le Japon met en service trois « bâtiments de débarquement de chars » de classe Osumi. Mais la structure de ces navires ne leur permet d’embarquer guère plus que quelques hélicoptères (3). Il faut ensuite attendre le milieu des années 2000 pour voir l’apparition d’une vague de LHD : les trois Mistral français – il est un temps question de quatre – entrent en service entre 2006 (4) et 2012 ; le Dokdo sud – coréen en 2007 et le Marado en 2021 (5) – particularité, ils ne disposent pas de hangar aviation spécifique – ; le Juan Carlos espagnol en 2010.

Il aura donc fallu 30 ans pour que le concept se diffuse et soit adopté ailleurs qu’aux États-Unis. Mais si le marché est restreint, il se complexifie également : l’Allemagne présente un design durant Euronaval 2008 (sans qu’une commande suive) ; les Pays-Bas y songent, sans toutefois en avoir les moyens ; l’Afrique du Sud semble intéressée, mais n’a pas les moyens. En revanche, l’Italie remplace le « croiseur porte – aéronefs » Garibaldi par le Trieste, un bâtiment d’emblée conçu pour embarquer des F‑35B et qui, sur le marché mondial des LHD, fait figure de poids lourd (6). Suivent quelques exportations : deux Juan Carlos à l’Australie (2014 et 2015) et un à la Turquie (2023) ; deux Mistral à la Russie, mais qui sont finalement vendus à l’Égypte (2016). L’Algérie achète également une variante du San Giorgio à l’Italie, le Kalaat Béni Abbès (2014), mais ses capacités aéronautiques sont limitées à l’embarquement dans le hangar de cinq Super Lynx.

Dans tous les cas de figure, la dimension aéronautique est soulignée, jusqu’au point parfois de faire oublier que le LHD est un navire amphibie. Lorsque la compétition australienne se tient, la possibilité de l’installation d’un tremplin est évoquée par ce qui est alors DCNS. D’aucuns ont expliqué le succès de Navantia certes par le couplage des ventes avec les destroyers de classe Hobart, mais aussi par le fait que les bâtiments sont nativement conçus pour embarquer des F‑35B (7). En Turquie, les performances de l’Anadolu en tant que plateforme aéronautique sont bien plus mises en évidence par Ankara que ses qualités amphibies – dès le début du projet, son couplage avec le F‑35B est clairement présenté comme la voie royale du développement d’une aéronavale embarquée.

Par ailleurs, même lorsque la dimension aéronautique est relativisée pour mettre en avant l’embarquement amphibie, les capacités de combat aérien font l’objet d’une attention certaine. Lors de l’achat des Mistral par la Russie, Moscou développe une version embarquée du Ka‑52, le Ka‑52K Katran, compatible avec le hangar et une navalisation – les machines seront finalement vendues à l’Égypte. Du reste, l’opération « Harmattan » (2011) avait bien démontré la pertinence opérationnelle de l’emploi du Tigre depuis les bâtiments (8). En la matière, si les hélicoptères de combat n’auront jamais les performances de chasseurs embarqués, leurs effets militaires, y compris dans l’attaque terrestre, sont bien réels. Cela pourrait également être le cas en matière de guerre navale : face à la menace que font peser les houthistes sur le détroit de Bab el-Mandeb et les lignes de communication au large du Yémen, les deux Mistral égyptiens se verraient très certainement légitimés dans des actions contre les bases au sol, la destruction de drones à faible vitesse ou encore la chasse aux petites embarcations.

Du porte-hélicoptères au porte-aéronefs. Ou au porte-avions ?

Si le LHD est naturellement un porte – hélicoptères, ce dernier a également connu un regain d’intérêt, là où l’on pensait qu’ils constituaient une sorte d’anomalie historique au travers de la Jeanne d’Arc (1964-2010), des sept Iwo Jima (1961-2002 – les seuls amphibies), des deux Moskva soviétiques (1967-1996), des deux Andrea Doria (1964-1992) et du Vittorio Veneto (1964-2003) et enfin des deux Haruna (1973-2011) et des deux Shirane japonais (1980-2017). Mais en réalité, on a assisté à une mutation du concept de porte – hélicoptères. Historiquement, à l’exception de quelques unités (9), les ponts des porte – hélicoptères étaient limités par les superstructures des navires et n’apparaissaient pas comme continus. Ces superstructures abritaient également les hangars, évitant qu’ils ne soient positionnés sous le pont principal, ce qui avait pour conséquence de réduire la complexité – un ascenseur n’est pas nécessaire –, mais aussi le tonnage des bâtiments.

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