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Mer Rouge : cinq mois d’attaques contre la navigation

Le 24 février, les États – Unis et le Royaume – Uni mènent une quatrième série de frappes, touchant 18 cibles sur huit sites. Le 26 février, les Houthis s’en prennent à quatre câbles de communication sous – marins appartenant aux systèmes AAE‑1, Seacom, EIG et TGN assurant les communications entre l’Europe et l’Asie (4). La frégate allemande Hessen ouvre le feu par erreur sur un drone américain Reaper qui n’est pas atteint. Le 27 février, le leader houthiste Mohammed al-Houthi déclare qu’il n’autoriserait les opérations de sauvetage que si l’aide humanitaire parvenait à Gaza. Le même jour, l’Hessen abat deux drones qui se dirigent sur elle avec son canon de 76 mm et son système antimissile. Une roquette explose par le travers d’un navire battant pavillon des Marshall à 59 nautiques au large de Hodeidah. Le navire n’est pas été immédiatement identifié. Le 4 mars, le porte-conteneurs MSC Sky II en route vers Djibouti est incendié par deux missiles antinavires à 91 nautiques au sud-est d’Aden. Un appel de détresse est émis et des marins du destroyer indien INS Kolkata éteignent l’incendie, qui ne cause que des dégâts mineurs.

Le 5 mars, le destroyer américain Carney abat un missile balistique et trois drones. Le 6 mars, le cargo True Confidence est frappé par un missile à 54 nautiques au sud-ouest d’Aden. Trois marins sont tués et quatre autres blessés. Un incendie catastrophique se déclare. Le reste de l’équipage abandonne le navire, secouru par un destroyer indien. Le True Confidence bat pavillon de la Barbade et appartient à des Libériens. Le 8 mars, le vraquier Propel Fortune, immatriculé à Singapour, est attaqué à environ 50 nautiques au sud-est d’Aden par deux missiles balistiques antinavires, qui le manquent. Le même jour, des avions et des bâtiments américains et français abattent une vingtaine de drones tandis que les frégates danoise Iver Huitfeldt et anglaise Richmond en détruisent au moins six.

Impact économique et politique

Environ 12 % du commerce mondial transite par la mer Rouge, soit 30 % de tout le trafic mondial de conteneurs, plus de 1 000 milliards de dollars de marchandises par an et environ 80 millions de tonnes de céréales, dont plus d’un tiers à destination de la Chine. Les sanctions occidentales contre la Russie font de la mer Rouge une artère commerciale vitale pour le commerce du brut et des carburants, alors que Moscou vend désormais l’essentiel de son pétrole à l’Asie. Environ 7 millions de barils de pétrole transitent quotidiennement par Bab el-Mandab, selon Goldman Sachs Group. Pétroliers et porte – conteneurs se détournent autour de l’Afrique. L’armateur A. P. Moller-Maersk A/S cesse d’utiliser la route de la mer Rouge. Le géant pétrolier et gazier BP suspend lui aussi ses transits en mer Rouge le 18 décembre, générant une hausse temporaire de 13 % du prix du gaz naturel en Europe. La hausse du pétrole est moins prononcée.

Après cinq mois d’attaques, la réponse militaire américano – britannique, de l’Union européenne et d’autres pays agissant individuellement assiste la navigation, mais ne parvient pas à arrêter les frappes et encore moins à résoudre le conflit yéménite. En janvier 2021, l’administration Biden avait tenté de mettre fin à la guerre en suspendant temporairement les fournitures d’armes à Riyad tandis que l’Arabie saoudite paraissait disposée à un règlement. En avril 2022, une trêve était mise en place et des négociations directes débutaient entre Saoudiens et Houthis, les premiers acceptant de payer les salaires des seconds. Aujourd’hui, les attaques houthistes contre le commerce maritime risquent de faire dérailler ce processus, tout comme les frappes américaines qui touchent 230 sites houthistes. Celles-ci ne paraissent pas avoir d’impact sur les tirs, qui se poursuivent. Alors que l’implication saoudienne dans la guerre au Yémen semble avoir pris fin, les Houthis paraissent confrontés à la perspective d’une intervention internationale (5).

L’Iran paraît être l’acteur clé derrière les attaques houthistes. Selon le Wall Street Journal, l’Iran aurait tenté de persuader le Soudan de l’autoriser à construire une base navale sur son littoral de la mer Rouge. Selon Ahmad Hassan Mohamed, un haut responsable soudanais, Téhéran espérait ainsi renforcer sa capacité à contrôler la navigation sur un axe critique. L’Iran fournit déjà des drones à l’armée soudanaise en lutte contre un chef de guerre rebelle et aurait proposé à Khartoum de lui livrer un bâtiment de guerre emportant un hélicoptère en échange de cette base : « Les Iraniens ont dit qu’ils voulaient utiliser la base pour recueillir des renseignements… ils voulaient aussi y stationner des navires de guerre.  » Mohammed explique que Khartoum rejette la proposition pour éviter de s’aliéner les États – Unis et Israël (6). Le Soudan entretenait des liens étroits avec l’Iran et son allié palestinien, le Hamas, sous la direction de l’homme fort Omar el – Béchir. Après son éviction lors du coup d’État de 2019, le chef de la junte militaire du pays, le général Abdel Fattah al – Burhan, entame un rapprochement avec les États-Unis dans le but de mettre fin aux sanctions internationales. Il prend également des mesures pour normaliser les relations avec Israël.

La demande de l’Iran de construire une base met en évidence la façon dont les puissances régionales cherchent à tirer parti de la guerre civile qui déchire le Soudan depuis 10 mois pour prendre pied dans le pays, un carrefour stratégique entre le Moyen – Orient et l’Afrique subsaharienne avec un littoral de 400 nautiques sur la mer Rouge. Une base navale permettrait à Téhéran de resserrer son emprise sur l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde, où il aide les rebelles houthistes basés au Yémen à lancer des attaques contre des navires commerciaux. L’Iran et les Houthis affirment que les attaques visent à punir Israël et ses alliés pour les combats à Gaza. Les actions des Houthis pèsent sur les autres rivaux régionaux de l’Iran, l’Égypte et l’Arabie saoudite, eux aussi riverains de la mer Rouge. Le Caire subit quant à lui un lourd manque à gagner lié à la baisse de fréquentation du canal de Suez.

Tensions géopolitiques en mer Rouge

Notes

(1) Defense Intelligence Agency, « Iran enabling Houthi Attacks Across the Middle East », 2/2024 (https://​www​.dia​.mil/​P​o​r​t​a​l​s​/​1​1​0​/​D​o​c​u​m​e​n​t​s​/​N​e​w​s​/​M​i​l​i​t​a​r​y​_​P​o​w​e​r​_​P​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​I​r​a​n​_​H​o​u​t​h​i​_​F​i​n​a​l​.​pdf).

(2) Éric Schmitt, « U.S. Conducted Cyberattack Against Iranian Military Ship, an Official Says », The New York Times, 15 février 2024.

(3) « Iranian warship provides security in Red Sea : Navy chief », Tehran Times, 21 janvier 2024.

(4) « Houthis knock out underwater cables linking Europe to Asia – report », The Jerusalem Post, 26 février 2024.

(5) Helen Lackner, « Houthi attacks underscore failures of Biden Red Sea strategy : Drone and rocket strikes are officially lethal now, making peace in Yemen even more distant », responsiblestatecraft​.org, 7 mars 2024.

(6) Nicholas Bariyo, « Iran Tried to Persuade Sudan to Allow Naval Base on Its Red Sea Coast », The Wall Street Journal, 3 mars 2024.

Légende de la photo en première page : Le Caio Duilio, de la marine italienne, contribution de Rome à l’opération « Aspides ». (© US Navy)

Article paru dans la revue DSI n°171, « Iran-Israël : le choc », Mai-Juin 2024.
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