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L’eau potable à Taïwan : un impératif national

Sur fond de risques que font peser sur Taïwan les évènements climatiques extrêmes et ceux portant sur la possibilité d’un affrontement armé avec la Chine, les systèmes d’alimentation en eau recèlent pour le gouvernement de Taïwan une double importance. Elle est à la fois stratégique et sécuritaire, ce qui fait que leur protection et leur résilience relèvent directement de la défense opérationnelle du territoire.

L’année 2021 aura été pour Taïwan un marqueur du changement climatique : l’ile n’eut à souffrir d’aucun typhon, là où trois à quatre se produisent en temps normal. Ce fut une première depuis 1964. Si les typhons ont des effets dévastateurs pour l’habitat et les infrastructures, ils apportent en revanche leur lot de pluies torrentielles. Celles-ci contribuent à 50 % des ressources en eau brute mobilisables du pays. La pluviométrie y reste trois fois supérieure à la moyenne mondiale, mais, année après année, Taïwan fait le constat de changements profonds et est désormais confrontée à des manques en eau chroniques en rapport avec ses usages, et ce, malgré un important jeu de retenues hydrauliques. Ces dernières ont été pensées et conçues comme des artères stratégiques destinées à capter les ressources en eau dont l’ile a besoin.

On doit en particulier ces prouesses techniques à l’ingénieur japonais Yoichi Hatta quand Formose était encore sous le contrôle de l’Empire du Soleil levant. Ses principales réalisations ont été la retenue d’eau de Wushantou qui était considérée lors de son inauguration en 1930 comme la plus grande et moderne d’Asie. On doit également à l’ingénieur japonais les 15 000 kilomètres de canaux d’irrigation dans la plaine de Chianan qui ont transformé le quotidien de l’ile il y a un siècle en permettant de conduire l’eau issue de la forte pluviométrie, au grand profit de l’agriculture, et plus particulièrement de la culture du riz et de la canne à sucre (1).

L’empreinte en eau élevée de l’agriculture et des semi-conducteurs

Le secteur agricole représente encore les deux tiers de l’eau consommée aujourd’hui à Taïwan, pour permettre notamment deux récoltes annuelles de riz, de faire pousser des fruits tropicaux, etc., sur fond d’un impérieux besoin de sécurité alimentaire pour ses 24 millions d’habitants. Le sujet serait en effet des plus critique en cas de blocus, si la Chine était amenée à suivre cette stratégie navale et aérienne. Or, force est de constater que la Chine multiplie les manœuvres et les exercices de son armée de l’air et de sa marine aux abords de l’ile, pénétrant régulièrement l’espace aérien et les eaux territoriales de Taïwan.

En termes de ressources en eau, le problème est que cette agriculture ne s’est jamais véritablement réformée. Ses acteurs sont âgés, les niveaux de fuites dans les réseaux d’irrigation sont élevés, les cultures produites sont très exigeantes en eau, et trop peu de techniques d’irrigation intelligente ont su être mises en œuvre durant les trente dernières années. Il a fallu le réveil de 2021 pour que les autorités exigent que l’empreinte en eau de l’agriculture diminue. Ceci offrira à l’évidence de nombreuses opportunités aux entreprises occidentales et notamment israéliennes. Israël est en effet un État pionnier en matière d’irrigation économe en eau, où la réutilisation des eaux usées fournit 40 % des besoins du monde agricole et où 90 % de l’eau est réutilisée en circuit fermé.

Mais c’est dans un autre domaine qu’Israël et Taïwan vont étendre à l’avenir leur coopération : celui de l’efficience de l’eau utilisée dans l’industrie des semi-conducteurs. Les deux pays collaborent déjà étroitement sur ce sujet. D’un côté, Taïwan est responsable de 60 % de la production mondiale de semi-conducteurs avec son fleuron qu’est la TSMC. La Taiwan Semiconductor Manufacturing Company produit elle-même 90 % des puces essentielles au fonctionnement des téléphones cellulaires, des voitures et des matériels militaires. À l’inverse de cette scale-up nation telle qu’est perçue Taïwan aux États-Unis, autre acteur incontournable du marché des semi-conducteurs avec 12 % de la production mondiale, Israël est vu comme une start-up nation, également très impliquée dans cette technologie. D’où les accords de partenariats signés entre les deux pays dans ce domaine, mais nul doute que ceux-ci vont progressivement s’étendre au smart water industrial management — soit comment mieux utiliser l’eau dans les processus industriels — ainsi que sur les techniques de dessalement dans lesquelles l’État israélien est passé maitre.

Fabriquer des puces nécessite en effet l’utilisation d’une eau ultrapure produite à partir, le plus souvent, d’un réseau public d’approvisionnement. Pour fournir 1 m3 d’eau mille fois plus pure que l’eau de consommation humaine au robinet, il est ainsi besoin de 1,4 à 1,6 m3 d’eau. Par ailleurs, l’eau distribuée en usine est également utilisée pour la climatisation d’équipements, ainsi que pour le refroidissement des centres-serveurs, qui concourent à graver des puces de deux nanomètres, faisant la richesse et la spécificité de cette activité à très haute valeur ajoutée. Ceci explique que la TSMC consomme l’équivalent de 80 piscines olympiques par jour et que sa demande en eau soit en constante progression (2).

Un sujet de défense et de sécurité nationale

Confrontée à la raréfaction de ses ressources sur fond de changement climatique, Taïwan a fait de l’eau un sujet stratégique et sécuritaire. Pour cela, le gouvernement mise sur la sensibilisation et la formation de sa population pour qu’elle soit plus économe dans ses usages domestiques, agricoles et industriels. Celle-ci est l’une des plus éduquées au monde comme en témoigne le classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) des pays de l’OCDE que les étudiants taïwanais surperforment régulièrement. En 2022, ils étaient les troisièmes en mathématiques, les quatrièmes en sciences et les cinquièmes en lecture. Il suffit également de visiter le musée de l’eau potable de la capitale Taipei pour comprendre que les enjeux de l’eau dans le pays sont désormais abordés dès le plus jeune âge.

À propos de l'auteur

Franck Galland

Spécialiste des questions sécuritaires liées aux ressources en eau, dirigeant de Environmental Emergency & Security Services – (ES)², cabinet d’ingénierie-conseil spécialisé en résilience urbaine, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, auteur de Guerre et eau : l’eau, enjeu stratégique des conflits modernes (Robert Lafont, 2021).

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