L’article rappelle que le détroit de Taïwan connaît chaque année une mousson du nord-est de novembre à mars et entre deux et sept typhons, avec des vitesses de vent de 10 à 12 m/s. Un vent et des vagues de cette puissance rendent impossibles les opérations héliportées. De mars à octobre, les conditions sont relativement stables, mais le cycle des marées sera très long, les profondeurs faibles et les plages très étendues, exposant les troupes au feu de l’ennemi. L’auteur note que les pertes seront considérables. Taïwan identifie 14 plages sur ses 1 200 km de côtes : Jinshan (nord), Jinshan (sud), Linkou, Haihu (Taoyuan Luzhu), Jade Bay, Fulong, Toucheng, Zhuangwei, Luodong, Yilan, Butai, Tainan, Linyuan, Jialutang. Neuf sont situées au nord et cinq au sud-ouest, à proximité des îles Penghu. L’auteur relève que chacune est défendue par l’artillerie et des fortifications en béton armé.
L’armée taïwanaise est répartie en cinq secteurs : Nord, Centre, Sud, Est et Penghu (Pescadores). Le déploiement se concentre sur les zones de combat Nord, Centre et Sud. L’auteur explique : « Si notre armée réussissait à débarquer par la force, ces vingt-cinq brigades couvriraient les autres forces, gagneraient du temps, permettant aux autres forces de se préparer aux combats de rue sur une longue période. Environ 80 % des brigades sont déployées sur l’île principale, neuf sur les îles extérieures et seulement deux brigades sur la côte orientale. » L’auteur relève que sur la côte orientale, la 129e brigade de défense aérienne a pour mission d’empêcher l’APL d’envoyer des bombardiers à longue portée, des missiles de croisière et des forces aéroportées. La zone de défense la plus importante protège Taïpei. C’est aussi la dernière ligne de défense. L’auteur conclut : « Si notre armée réussit à débarquer et à établir une position défensive, alors les combats de rue en milieu urbain seront inévitables. La puissance de feu embarquée et les bombardements de précision de notre armée ne pourront pas jouer… Les victimes collatérales de la bataille seront difficiles à limiter. (14) »
Pour l’auteur, la solution est de projeter des troupes échelonnées sur deux à quatre des quatorze plages avec un appui – feu à longue portée par les missiles et l’aviation. Cependant, les troupes d’avant – garde se retrouveront inévitablement sans les munitions suffisantes. Si une opération de débarquement rapide à grande échelle est réalisée, l’auteur note que le Type‑075 est la plateforme essentielle au succès et que la Chine doit disposer d’au moins huit unités pour agir. L’auteur estime que tous les chalands de débarquement pourraient transporter trois brigades, soit 18 000 hommes, par rotation. En pratique, ce chiffre n’est pas réaliste, car une partie des effectifs seront non combattants, à commencer par le personnel médical. Les rotations suivantes devront emporter munitions, carburant, nourriture, eau douce, matériaux de construction et le nombre de troupes sera encore inférieur. L’auteur estime la deuxième vague à 12 000 soldats puisqu’elle comprendra également du personnel médical, et du génie. Par conséquent, l’auteur estime à quatre brigades, soit 24 000 hommes, les forces qui pourraient être projetées toutes les 24 heures. Au total, l’auteur estime à 100 000 hommes les forces projetables, un chiffre qui devrait théoriquement passer à 130 000 hommes en 2024.
Cinq éléments constitueraient les préalables à un éventuel succès :
• la reconnaissance précise de la zone de débarquement par satellite ;
• l’utilisation de la guerre électronique pour couper complètement les liaisons avec les îles de Kinmen et Penghu, avant de les réduire avec l’artillerie ;
• le débarquement prioritaire de lance – roquettes à longue portée sur la tête de pont ;
• l’envoi de forces spéciales ;
• l’appui-feu de la flotte.
L’auteur anonyme conclut que l’APL devra défendre une tête de pont pendant 12 heures, risquant l’anéantissement des premiers milliers d’hommes, exposés sur la plage sans disposer d’équipements lourds. Une telle candeur et la publication d’un tel article sur une plateforme très lue signifient que Pékin veut inspirer la lucidité à sa population, enivrée par le spectacle de ses nouveaux équipements militaires (15).
Analyses taïwanaises et américaines
À Taïpei, une étude d’état – major de 2019 révèle l’inquiétude que suscitent les nouveaux armements et les nouvelles tactiques des continentaux. Wu Qiyu note : « L’armée communiste [choisit] les points faibles de notre défense pour la manœuvre amphibie, mettant en œuvre une vitesse élevée, dans le temps comme dans l’espace » et ajoute : « les moyens de frappe en profondeur, multidirectionnels et à plusieurs niveaux constituent une menace sérieuse pour nos opérations de défense ». L’auteur identifie trois couches, celle des bâtiments de débarquement, celle des aéroglisseurs et celle des moyens aéroportés qui attaquent verticalement et s’emparent des objectifs en profondeur. Il cite un exercice de mars 2017, où « l’armée communiste » a employé un transport de chalands de débarquement Type‑071 en formation mixte avec trois aéroglisseurs Type‑726, des hélicoptères Z‑8 et plus de 1 000 soldats. Cet entraînement démontre à ses yeux que l’APL « a la capacité de projeter en 24 heures 1 000 soldats dans un rayon de 1 000 kilomètres ».
Face à cela, l’armée taïwanaise doit surpasser l’ennemi dans ses trois dimensions, maritime, terrestre et aérienne. Pour surpasser l’ennemi, Wu Qiyu cite les trois orientations de la défense de l’île. La défense de la force de combat est la première priorité. Mobilité, camouflage, contre – mesures doivent protéger les forces de combat des frappes en profondeur. La seconde priorité est la bataille aéronavale pour assurer le contrôle de l’espace maritime avec la puissance de feu des trois armées. Cette bataille devrait durer cinq heures avant que les Continentaux ne s’imposent. La troisième phase consiste à anéantir l’ennemi sur les plages avec des opérations conjointes. Les forces armées disposeraient de 60 heures de préavis pour cette troisième phase dans laquelle la pose de mines jouerait un rôle central tant sur les plages que sur les routes pour la défense urbaine (16).
Aux États-Unis, la fenêtre 2026-2030 pour un débarquement à Taïwan ne fait pas l’unanimité. Ancien officier du renseignement naval, J. Michael Dahm s’intéresse au soutien indispensable qu’apporteraient les navires civils. Trois études analysent la mobilisation de moyens de la marine marchande entre 2020 et 2023 (17). L’APL emploie des cargos rouliers et des ferries pour déplacer des forces terrestres d’un port à un autre. Certains ont également participé à des exercices de débarquement, en particulier pour accoster le long de quais flottants. Douze ferries et cargos rouliers ont ainsi effectué, en 2022, 82 transits entre 11 ports chinois durant un exercice de cinq semaines déplaçant au total 8 500 véhicules militaires et 58 000 soldats (six brigades de l’APL et six brigades de soutien). L’auteur estime toutefois que la Chine ne serait pas prête avant le milieu des années 2030 pour mobiliser sa flotte marchande contre Taïwan (18). Pour d’autres raisons, les récentes purges de l’APL semblent valider ce pronostic.
Notes
(1) Ian Easton, « Before Zero Day : Taiwan’s Evolving Defense Strategy and the Struggle for Peace », 27 septembre 2023 (https://project2049.net/2023/09/27/before-zero-day-taiwans-evolving-defense-strategy-and-the-struggle-for-peace).
(2) Actualités Sina, « Les médias taïwanais ont révélé : l’armée taïwanaise s’est rendue à Guam pour s’entraîner aux “opérations amphibies” », 11 mars 2021 (https://news.sina.cn/2021-11-03/detail-iktzscyy3413487.d.html).
(3) White Paper : The Taiwan Question and China’s Reunification in the New Era, 10 août 2022 (http://us.china-embassy.gov.cn/eng/zgyw/202208/t20220810_10740168.htm# :~:text=This%20new%20white%20paper%20is,government%20in%20the%20new%20era).
(4) Plateforme digitale Net Ease, auteur anonyme, « Peu importe à quel point c’est difficile, l’APL a depuis longtemps un plan pour des opérations de débarquement contre Taïwan, ce que même l’armée américaine craint », 30 juillet 2023 ; https://www.163.com/dy/article/IATHJVVF0553ETNP.html ; « Taïwan travaille dur depuis de nombreuses années, et les opérations de débarquement amphibie sont loin d’être aussi simples qu’on l’imagine », 26 juillet 2022 (https://baijiahao.baidu.com/s?id=1739381900264115313).
(5) Flottes de combat 2024, version digitale, Ouest-France.
(6) Ibid.
(7) « Le navire d’assaut amphibie Type-075, “l’arme pour la reprise de Taïwan”, fait peur à Taïwan, et le navire 076 sera plus puissant au combat à l’avenir », Observer les îles depuis la mer, 18 novembre 2023 (https://new.qq.com/rain/a/20231118A08J9H00).
(8) Ibid.
(9) Ibid.
(10) Flottes de Combat 2024, ouvr. cité.
(11) Ibid
(12) Net Ease, Auteur anonyme, art. cité.
(13) Keoni Everington, « France’s failed invasion of Taiwan offers lessons for defense against China, overconfidence, people’s trust in leaders led to French defeat at Battle of Tamsui », Taiwan News, 11 janvier 2024 (https://www.taiwannews.com.tw/en/news/5076413).
(14) Net Ease, art .cité.
(15) Ibid.
(16) Wu Qiyu, « Recherche sur l’application et le développement de la pose de mines mobiles dans les opérations défensives.
(17) J. Michael Dahm, « Chinese Ferry Tales : The PLA’s Use of Civilian Shipping in Support of Over-the-Shore Logistics », China Maritime Report, no 16, novembre 2021.
(18) Michael J. Dahm, « Beyond Chinese Ferry Tales : The Rise of Deck Cargo Ships in China’s Military Activities, 2023 », China Maritime Report, no 35, 2024.
Légende de la photo en première page : Désenradiage d’un Type-726. (© MoD China)