L’embauche de Palestiniens en Israël commence en 1967, lorsque les forces de défense israéliennes (Tsahal) conquièrent la Cisjordanie et la bande de Gaza. À l’heure actuelle, on estime à 150 000 le nombre de personnes issues des Territoires occupés qui travaillent dans le pays, avec ou sans permis. S’ils ne représentent que 3 % de la main-d’œuvre locale, ces individus occupent une place stratégique dans les secteurs du BTP, du tertiaire, de l’industrie et de l’agriculture. Néanmoins, ils sont soumis à des réglementations strictes qui encadrent à la fois leur travail et leurs déplacements en Israël et dans les colonies. Et le numérique ajoute un nouveau degré de complexité à ce contexte.
Les travailleurs palestiniens sont présents dans plusieurs secteurs clés de l’économie israélienne. Cette main-d’œuvre est stratégique à plusieurs égards. D’une part, certains secteurs en sont dépendants, car elle fournit l’essentiel des effectifs ouvriers ; c’est le cas du BTP, dans lequel sont embauchés 60 % des Palestiniens. Dans un contexte de crise du logement qui sévit dans le pays depuis plus de dix ans et qui a mené aux contestations de 2011, les chantiers de construction se multiplient, poussant les kablanim (entrepreneurs en hébreu) à demander toujours plus de main-d’œuvre palestinienne : 16 % des Palestiniens des Territoires occupés sont embauchés dans le tertiaire, 13 % dans l’industrie et les 6 % restants dans l’agriculture. Les kablanim peinent à recruter des Israéliens qui semblent snober ces professions peu rémunératrices et considérées comme dégradantes.
D’autre part, cette main-d’œuvre est accessible et peu coûteuse à l’emploi : elle est payée à hauteur de 5 800 shekels (1 400 euros) net par mois en moyenne, soit le salaire minimum en Israël, mais celui-ci peut être inférieur dans les colonies. Elle est facilement remplaçable, et les candidats ne manquent pas. Le travail en Israël attire, car les salaires y sont plus élevés, et que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza, les perspectives de trouver un emploi sont limitées : le chômage en Cisjordanie touche 17 % de la population active, et dans la bande de Gaza, il atteint 44 % ! En Israël, un travailleur palestinien peut espérer obtenir un salaire mensuel en moyenne trois fois plus haut que dans les Territoires gérés par l’Autorité nationale palestinienne (ANP), où le salaire moyen est de 440 euros, et presque huit fois supérieur à celui dans la bande de Gaza (200 euros).
Le régime israélien des permis et ses réalités
Afin de pouvoir accéder à un permis de travail en Israël, un candidat ne doit avoir aucun antécédent judiciaire ou sécuritaire dans les registres israéliens, être âgé de 24 ans minimum et marié. Il est important de spécifier que les deux dernières conditions ne sont pas systématiquement appliquées dans le recrutement pour les colonies. Les hommes comptent pour 99 % des travailleurs palestiniens en Israël. Plusieurs explications sont données : la première tient au fait que la politisation de la femme est forte dans le conflit avec Israël, il existe donc une vive opposition à ce que les femmes palestiniennes travaillent pour le compte de « l’occupant ». Deuxièmement, le travail féminin en Israël est davantage mal perçu par la société palestinienne, qui reste ancrée sur des valeurs patriarcales et conservatrices. Enfin, des secteurs clés comme la production de textile, où étaient autrefois embauchées de nombreuses femmes palestiniennes, sont concurrencés par des délocalisations en Égypte et en Jordanie dans les années 1990, rendues possibles par les accords de paix avec ces deux pays respectifs (1979 et 1994). Les Palestiniennes sont principalement embauchées dans les secteurs de l’industrie et de l’agriculture et sont proportionnellement plus présentes dans les colonies que les hommes. Elles travaillent souvent de manière non déclarée, sont moins rémunérées et plus vulnérables que leurs homologues masculins. En outre, les femmes osent peu se plaindre auprès des ONG et des organisations de défense des droits des travailleurs, car leur activité fait débat au sein de la société palestinienne et est dissimulée, notamment parce que beaucoup sont recrutées dans les colonies.
En 1982, un tiers de la population active palestinienne de la bande de Gaza et de Cisjordanie avait travaillé au moins une fois en Israël. La première Intifada (1987-1993) a changé la donne et annoncé la fin du statu quo entre Israéliens et Palestiniens. Jusqu’en 1987, les économies israélienne et palestinienne étaient fortement imbriquées l’une dans l’autre, au point d’être difficilement dissociables. Israël fournissait des biens de consommation aux Territoires occupés et absorbait une grande part de sa population active, qui était ensuite intégrée à son marché du travail dans le but d’obtenir une paix sociale, politique et économique auprès des Palestiniens. Néanmoins, la première Intifada a marqué les esprits des Israéliens par l’ampleur des violences, mais également par la participation active des travailleurs au soulèvement. En signe de protestation, des milliers de Palestiniens refusent de se rendre sur leur lieu de travail en Israël et sont parfois les auteurs d’attaques, ce qui augmente la méfiance des Israéliens à leur égard. La politique de « permis de sortie général » prend fin en 1991 et oblige les Palestiniens à se munir d’une autorisation personnelle afin de pouvoir continuer à exercer leur métier en Israël. C’est également au tournant des années 1980 qu’Israël déploie un nombre croissant d’obstacles et de checkpoints le long de la ligne d’armistice de 1949.
Ces mesures de restriction d’accès au sol israélien sont mises en place afin de contrôler les entrées des Palestiniens. Il est question de permis de travail, mais aussi de visites médicales, familiales, pour motif humanitaire, etc. Ils sont accordés pour des durées allant de quelques mois à deux ans et peuvent être renouvelés au terme de leur validité. Afin d’obtenir un permis d’entrée/de travail en Israël, les Palestiniens déposent une demande à la Coordination des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), qui fait office d’administration civile en Cisjordanie occupée et d’interlocuteur avec la bande de Gaza. Un Palestinien souhaitant travailler en Israël doit au préalable entrer en contact avec un employeur pour avoir une permission qui le lie professionnellement à celui-ci. Cela induit qu’un travailleur palestinien ne peut pas changer d’employeur chemin faisant, sans la volonté de ce dernier. L’administration israélienne juge qu’il est ainsi plus facile de surveiller les mouvements des Palestiniens qui se trouvent sur son territoire. Ce mécanisme de contrôle implique qu’un employeur peut à tout moment et sans difficulté rompre un contrat de travail avant son terme dans le cas d’un litige professionnel ou personnel avec son employé.
Près de 40 000 Palestiniens travailleraient légalement dans les colonies de Cisjordanie, mais le chiffre réel pourrait être plus élevé, car l’informel y est développé. Obtenir un permis de travail pour les colonies de Cisjordanie est plus facile que d’en avoir un pour Israël. En effet, les lois du travail dans les implantations sont moins strictes et moins rigoureusement appliquées qu’en Israël. C’est un mélange de droit archaïque jordanien et de législations propres à chaque colonie, plus laxiste en ce qui concerne les droits sociaux des travailleurs ainsi que les réglementations en matière de sécurité sur le lieu de travail. Les Palestiniens sont nettement moins bien rémunérés qu’en Israël et gagnent entre 13 et 25 euros par jour, soit trois à quatre fois moins qu’à Jérusalem ou à Tel-Aviv. Ils n’ont pas le droit à des congés payés ni à des arrêts maladie et sont souvent rémunérés en espèces de façon non déclarée, ce qui ne laisse aucune possibilité de recours légal en cas de litige avec l’employeur, faute de traçabilité. De nombreuses ONG palestiniennes, israéliennes et internationales, telles que Al-Haq, KavLaoved ou Human Rights Watch, dénoncent les abus commis contre des travailleurs palestiniens dans les colonies. En parallèle, elles alertent sur la présence de mineurs dans certains champs agricoles, notamment dans la vallée du Jourdain pour la culture des dattes. De plus, les ONG pointent du doigt les longues heures d’attente dans les checkpoints, les infrastructures inadaptées pour accueillir autant de personnes ainsi que les abus et autres humiliations quotidiennes subis par les Palestiniens de la part des forces de sécurité israéliennes. Les files d’attente s’éternisent plusieurs heures, souvent à l’extérieur, sans protection contre les aléas météorologiques, debout et dans des corridors surpeuplés. La plupart des travailleurs palestiniens se lèvent à 2 ou 3 heures du matin afin de pouvoir arriver à temps. C’est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup choisissent, légalement ou pas, de rester dormir la semaine sur les chantiers, dans des chambres louées ou dans des préfabriqués proches de leur lieu de travail. Une grande partie des travailleurs gazaouis séjournent un mois consécutif ou plus en Israël.