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Ukraine-Russie : la guerre des drones

Théâtre d’une guerre des drones face à la Russie, l’Ukraine est aujourd’hui engagée dans une course aux armements, où l’IA et la guerre radio-électronique détermineront le vainqueur.

Le paradoxe de la guerre actuelle de la Russie contre l’Ukraine est qu’elle ressemble à la fois à la Première Guerre mondiale et à un film de science-fiction. En effet, dans un contexte de guerre de tranchées, les véhicules aériens sans pilote (UAV, drones) effectuent des opérations de reconnaissance, surveillent les mouvements de l’ennemi de jour comme de nuit, dirigent les tirs d’artillerie et ciblent directement les véhicules et les troupes ennemies (1). Tandis que les drones terrestres et les robots de combat effectuent des tâches de déminage, de démolition ou de sauvetage au combat, les drones navals ukrainiens ont également contribué à détruire un quart de la flotte russe de la mer Noire (2) et à mettre hors de combat la moitié de cette dernière.

L’évolution de la guerre des drones en Ukraine : de Bayraktar à Kamikadze

Au cours des premiers mois de la guerre, les drones turcs de moyenne altitude et de longue endurance Bayraktar TB2 ont contribué à repousser l’offensive russe et ont été considérés comme un facteur de changement. Cependant, ils ont disparu du champ de bataille (3) lorsque la Russie a commencé à les abattre avec des missiles sol-air et a adapté ses moyens de guerre radio-électronique. Ainsi, à l’exception des premières phases, les drones de moyenne altitude et de longue endurance comme le Bayraktar TB2 ou l’Orion russe n’ont pas joué un rôle significatif dans cette guerre en raison de l’efficacité des contre-mesures (4).

Les forces terrestres ukrainiennes et russes utilisent aujourd’hui largement des drones commerciaux plus petits, reconfigurés pour un usage militaire. Les drones de surveillance et de reconnaissance du renseignement militaire tels que le Furia ou FlyEye ukrainien et l’Orlan-10, le Forpost ou le ZALA 421 russe appartiennent à cette catégorie. Ces drones militaires sont utilisés pour la surveillance en raison de leur grande autonomie de vol et de leurs capteurs avancés. En revanche, les petits quadcoptères commerciaux sont omniprésents mais ont une portée plus courte et une autonomie limitée (5). Les marques les plus utilisées et les plus populaires parmi les combattants des deux camps sont DJI Mavic et Phantom.

Une troisième catégorie est constituée par les drones kamikazes, qui offrent des capacités de frappe de précision, en particulier lorsqu’ils sont associés à des drones de reconnaissance non armés et à des pièces d’artillerie. Ces derniers fonctionnent davantage comme des munitions que comme des aéronefs. Ainsi, les drones kamikazes de qualité militaire, tels que les Switchblade 300 et 600, qui ont équipé les armées américaine et britannique avant 2022, ou les Lancet-1 et 3 russes, sont largement utilisés pour les frappes opportunistes et les tirs de contre-batterie. Lorsqu’un drone non armé comme le Puma ou l’Orlan-10 repère une unité d’artillerie ennemie, un drone kamikaze peut suivre pour détruire la cible. Ces drones jouent donc un rôle déterminant dans l’issue des duels d’artillerie (6).

Cependant, les petits drones kamikazes ne peuvent pas rivaliser avec la puissance de feu de l’artillerie, car les obus d’artillerie contiennent plus d’explosifs et peuvent être tirés rapidement en grandes salves. Par exemple, un obus américain de 155 mm contient près de 15 kg d’explosifs, contre 1 à 2 kg pour un drone FPV (First Person View). Les attaques kamikazes de grande envergure impliquant des essaims de drones sont actuellement limitées par la guerre électronique russe et la nécessité d’une coordination manuelle (7). Les drones offrent à l’Ukraine un avantage tactique significatif, notamment des frappes de précision, une surveillance persistante et un bon rapport cout-efficacité, ce qui fait que les drones de petite et moyenne taille sont devenus essentiels. Les armées russe et ukrainienne testent et innovent en temps réel, ce qui a donné lieu à une course contre la montre, tant dans le domaine des drones que dans celui de la guerre radio-électronique, où la Russie jouit aujourd’hui d’un avantage financier et technique. Les drones sont appelés à jouer un rôle plus important à l’avenir, sur le champ de bataille et au-delà. Ainsi, lorsque l’Ukraine a intensifié les attaques de drones contre les raffineries de pétrole russes en 2024, ciblant des régions comme Saint-Pétersbourg et Volgograd, elle a réduit la capacité de raffinage de la Russie de 12 %, malgré les pressions exercées par les États-Unis sur Kyiv pour qu’elle cesse de cibler l’intérieur de la Russie (8).

La guerre des drones : guerre électronique et autres contre-mesures

Si les systèmes militaires tels que Pantsir, NASAMS, IRIS-T fournis à l’Ukraine sont efficaces pour les grandes cibles, ils sont inefficaces et trop couteux pour être utilisés contre les petits quadcoptères bon marché ou les drones Shahed/Geran qui sont apparus sur le champ de bataille en 2022. Pour abattre ces types de drones, les deux camps ont utilisé des mitrailleuses et des pièces d’artillerie antiaérienne de petit calibre des années 1950, puis des fusils de chasse, plus facilement disponibles que les fusils électroniques anti-drones (9), qui peuvent dévier électroniquement la menace d’attaques de drones kamikazes. 

Les petits dispositifs de guerre électronique et de brouillage fixés aux véhicules ou à l’artillerie sont devenus des outils populaires de la guerre radio-électronique. Mais la Russie produit davantage de ces derniers, et plus rapidement que l’Ukraine, car elle a développé des systèmes de guerre électronique (GE) de meilleure qualité à grande échelle en raison de la militarisation de son économie. La Russie utilise un vaste éventail d’équipements de guerre électronique pouvant fonctionner sur plusieurs fréquences, avec une portée plus large que l’équivalent ukrainien, ciblant et désactivant des outils cruciaux pour la communication, le positionnement, l’aide à la navigation, l’acquisition de radars, etc. L’un des systèmes les plus efficaces déployés dans le Donbass depuis 2024 est le Zhitel R-330. Il est capable de supprimer les signaux GPS et GSM, ce qui le rend très efficace contre les drones FPV. Au niveau structurel, chaque niveau tactique et opérationnel des forces terrestres russes dispose d’unités de guerre électronique au niveau de la division, de la brigade et du groupe d’armée. Ils ont construit un épais « mur de guerre électronique » multicouche le long de la ligne de contact, compliquant la guerre des drones pour l’armée ukrainienne et la poussant à innover. En revanche, les véhicules blindés et les unités d’infanterie ukrainiens sont insuffisamment équipés, même avec des systèmes de guerre électronique dépassés, la plupart étant achetés par les soldats ou par des volontaires, et non par le ministère de la Défense. Le domaine de la guerre des drones se développant très rapidement, l’Ukraine doit, pour acquérir un avantage concurrentiel, non seulement mettre en place une production de masse de drones kamikazes, mais aussi planifier l’avenir en lançant les processus de conception et d’essai (résistance à la guerre électronique, technologie « swarm », etc.)

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