L’Égypte, la Jordanie et le Liban sont liés à Gaza par une proximité géographique et par leur histoire. Pour ces trois pays, la stabilité politique interne, la diplomatie et les alliances ainsi que la situation socioéconomique sont mises à l’épreuve.
L’Égypte : suspension risquée des accords de paix
Médiateur régional sollicité, l’Égypte joue un rôle crucial dans la recherche de solutions pacifiques, tout en affrontant des défis internes considérables, notamment ceux posés par les Frères musulmans. Tout au long de ce conflit à Gaza, la capacité égyptienne est mise à l’épreuve, la contraignant à concilier responsabilités internationales et priorités nationales, essentielles pour soutenir la stabilité du régime et l’ordre régional.
Depuis 2013, sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sissi, l’Égypte a adopté une approche pragmatique vis-à-vis d’Israël et des Palestiniens, en continuité avec les accords de Camp David et le traité de paix israélo-égyptien de 1979. Les relations égypto-israéliennes se sont intensifiées, surtout dans les domaines de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme des intégristes dans le Sinaï. L’Égypte joue également un rôle clé de médiateur entre Israël et le Hamas à Gaza, et en organisant des pourparlers entre les factions palestiniennes pour avancer vers une solution à deux États.
La Jordanie sous pression iranienne
Stratégiquement située entre Israël et l’Iran, la Jordanie maintient sa stabilité grâce à une diplomatie prudente et à des mesures sécuritaires strictes. Depuis les attaques du 7 octobre, elle appelle au cessez-le-feu et au respect du droit humanitaire, tout en préservant le traité de paix avec Israël (accords de Wadi Araba de 1994). Ce traité est constamment mis à l’épreuve par les critiques internes des politiques israéliennes en Cisjordanie et à Gaza. Les récentes tensions à Jérusalem et en Cisjordanie ont mis en lumière le rôle délicat de la Jordanie en tant que gardienne des lieux saints musulmans, un rôle reconnu par Israël.
Ses services de renseignement collaborent avec des agences étrangères pour prévenir les menaces terroristes, notamment aux frontières avec la Syrie et l’Irak. Le Royaume, hanté par le spectre de devenir une patrie de substitution (Al Watan, Al Badil), craint la possibilité d’un transfert massif de Palestiniens de la Cisjordanie vers son territoire, ce qui suscite des inquiétudes quant à la stabilité du pays ainsi qu’aux changements démographiques et politiques.
Le gouvernement jordanien redoute aussi l’influence croissante de l’Iran, qui exacerbe les tensions régionales. Le 28 janvier 2024, des milices chiites irakiennes soutenues par l’Iran ont attaqué une base américaine en Jordanie, tuant trois soldats. Cet incident, ainsi que l’interception de drones iraniens visant Israël par l’aviation jordanienne le 13 avril 2024, montrent le risque d’une implication accrue de la Jordanie dans le conflit régional.
Le Liban : la diplomatie sous le diktat du Hezbollah
Le Hezbollah chiite libanais, intégré dans la Force Al-Qods, est une faction redoutable de la stratégie iranienne d’« encerclement par le feu » de l’État d’Israël. Dans ce cadre, le Sud du Liban est soumis aux impératifs stratégiques iraniens, où une guerre de l’ombre et de procuration justifiée religieusement pour soutenir le Hamas et le djihad islamique contribue à renforcer les ambitions de Téhéran, son expansion et son programme nucléaire.
Au Liban, le Hezbollah s’engageant sur la voie de la libération de Jérusalem met en échec la politique de non-alignement de l’État et son attachement à la trêve de Rhodes de 1949. En prétendant remplacer le slogan « La force du Liban est dans sa faiblesse », l’État parallèle du Hezbollah engage le pays dans des conflits régionaux et compromet sa diplomatie, traditionnellement neutre et alignée sur le consensus arabe, avec des liens rapprochés avec la France et les États-Unis.
Les relations avec les États-Unis
L’Égypte, la Jordanie et le Liban entretiennent des relations diplomatiques, militaires et culturelles distinctes avec les États-Unis, ce qui les expose à des tentatives de déstabilisation par d’autres puissances, notamment l’Iran, la Russie et la Chine. Ces dernières aspirent à étendre leur influence au détriment des intérêts, des valeurs démocratiques et libérales de l’Occident. Dans le sillage de la guerre en cours à Gaza, l’Égypte, membre clé de la Ligue des États arabes et de l’Organisation de la coopération islamique, doit équilibrer et harmoniser ses engagements envers les pays arabes et musulmans avec son partenariat stratégique avec les États-Unis. En effet, les États-Unis fournissent à l’Égypte une aide militaire et économique d’environ 1,3 milliard de dollars par an, essentielle pour maintenir son influence.
L’alliance stratégique entre la Jordanie et les États-Unis, solidifiée durant la guerre de Gaza, s’illustre par des programmes conjoints de formation, ainsi que par la livraison d’armements et de fournitures militaires américaines. Le partenariat stratégique, renforcé par le quatrième protocole d’accord signé en septembre 2022, garantit un soutien américain annuel de 1,45 milliard de dollars de 2023 à 2029. Bien que la présence militaire américaine en Jordanie renforce la sécurité du royaume, elle est contestée politiquement et menace la légitimité interne du régime. Néanmoins, cette alliance reste cruciale pour la stabilité régionale.
Depuis le début de la guerre de Gaza, les États-Unis et la France s’activent pour maintenir la stabilité au Liban, en évitant une guerre totale entre le Hezbollah et Israël et en réduisant l’influence iranienne par la pression diplomatique et le soutien conditionnel. Le groupe des cinq (Égypte, Qatar, France, Arabie saoudite et États-Unis) propose sa médiation pour protéger la paix civile et les accords de Taëf. Jean-Yves Le Drian, émissaire spécial du président français pour le Liban, et Amos Hochstein, envoyé spécial américain pour les Affaires énergétiques, jouent des rôles cruciaux dans la médiation pour résoudre l’impasse constitutionnelle et les différends relatifs aux frontières dessinées par la Ligne bleue, établie par l’ONU en 2000, qui s’étend sur environ 120 kilomètres de la frontière syrienne à la mer Méditerranée, et qui est surveillée par la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Malgré cette surveillance, la guerre de soutien à Gaza par le Hezbollah se poursuit, respectant les règles d’engagement convenues en 1998 et l’entente de délimitation des frontières maritimes de 2022.