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Gaza en flammes : l’Égypte, la Jordanie et le Liban endurent

Les enjeux économiques et sociaux

Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, l’Égypte fait face à d’importants enjeux économiques. Les attaques des Houthis yéménites dans la mer Rouge entrainent une baisse significative des revenus, de plus de la moitié des recettes habituelles, essentielles pour une économie déjà en crise et une dette nationale alourdie par les dépenses en mégaprojets et en armements.

La guerre à Gaza entrave également les plans du gouvernement égyptien pour attirer des investissements étrangers, nécessaires pour atténuer la crise des devises et rembourser une dette extérieure avoisinant les 165 milliards de dollars américains. Pour maitriser l’inflation, l’Égypte a augmenté son taux directeur à un niveau record de 27,25 %, entrainant une dépréciation de la livre de plus d’un tiers. Avec la hausse des taux d’intérêt mondiaux, le cout du remboursement de cette dette a augmenté, réduisant le pouvoir d’achat des citoyens et freinant les projets d’expansion des entreprises.

La guerre à Gaza exacerbe les difficultés économiques et sociales en Jordanie, telles que l’inflation, la dette publique, la réduction des revenus du tourisme et le chômage de 21 %, particulièrement chez les jeunes. Des réformes structurelles et une gestion efficace des ressources sont urgemment nécessaires. La Jordanie dépend d’Israël pour l’importation annuelle de 50 millions de mètres cubes d’eau et de 2 milliards de mètres cubes de gaz sur quinze ans, mais bénéficie d’un accès stratégique au commerce maritime via le golfe d’Aqaba et la mer Rouge.

Les hostilités au Sud-Liban entre le Hezbollah et Israël aggravent la crise du pays, retardant la sortie de l’une des pires crises économiques au monde. En 2024, l’inflation atteint 70 % et le chômage est de 30 % en 2023, atteignant 48 % chez les jeunes. La Banque mondiale estime le taux de pauvreté à 50 %. Avant que cette guerre de soutien à Gaza n’atteigne un point d’inflexion et ne s’accorde sur un cessez-le-feu ou une solution pacifique, il est difficile d’envisager une reprise de croissance et un déblocage de la crise bancaire, d’autant plus que la reprise lente repose sur les transferts de la diaspora et l’économie du « cash », représentant 47 % du PIB, soit 9,5 milliards de dollars.

Les jours d’après

En tant que médiateur clé dans les négociations de cessez-le-feu, l’Égypte remanie ses ministres le 3 juillet 2024, notamment ceux à la tête des Affaires étrangères, de la Défense et des Finances, et s’investit dans la réconciliation et la stabilisation de Gaza. En partenariat avec l’Autorité palestinienne, le gouvernement égyptien vise à affaiblir l’emprise des islamistes alliés de l’Iran sur Gaza et à ouvrir la voie à un gouvernement palestinien d’unité nationale reconnu internationalement, renforçant les institutions locales, les services publics et l’ouverture des passages frontaliers.

L’avenir de la Jordanie repose sur sa capacité à équilibrer des forces contradictoires pour préserver sa stabilité et sa souveraineté. Tout en soutenant son traité de paix avec Israël, la Jordanie devra éviter des bouleversements potentiels dus aux tensions avec l’Iran et aux risques de transfert massif des Palestiniens de la Cisjordanie, qui figure dans les plans des ultraradicaux sionistes religieux.

Une fois les menaces de guerre apocalyptique écartées et les hostilités avec Israël terminées, les Libanais se retrouveront inévitablement face à des défis déterminants pour leur avenir. Ils devront notamment traiter la question du Hezbollah et ses relations avec l’État et la société pluricommunautaire, en lien avec l’enjeu du monopole souverain sur les décisions de paix et de guerre. Il sera également crucial de redéfinir la vocation du Liban et ses alliances, ainsi que de rouvrir le dialogue national sur les réformes nécessaires pour renforcer la démocratie parlementaire et mettre fin à la crise bancaire.

La guerre actuelle à Gaza est la plus fatidique et décisive au Moyen-Orient, en particulier pour l’Égypte, la Jordanie et le Liban, concernant leurs pouvoirs, la stabilité de leur ordre social et leur bien-être économique.

Sami Aoun, le 25/07/24.

Article paru dans la revue Diplomatie n°129, « Le Moyen-Orient durablement déstabilisé », Septembre-Octobre 2024.

À propos de l'auteur

Sami Aoun

Ph.D, professeur émérite à l’École de politique appliquée (EPA) de l’Université de Sherbrooke (Canada), directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (OMAN) à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM, et directeur du comité scientifique et cofondateur de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

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