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L’Iran, puissance de l’échange aérobalistique

Les récentes opérations menées par des proxys alliés de l’Iran démontrent une stratégie claire d’investissement des espaces fluides : informationnel évidemment, mais aussi naval et aérien. Il est ainsi remarquable de constater que la stratégie iranienne de compensation de puissance lui a permis d’obtenir des effets de levier stratégiques bien plus importants que les investissements initiaux, qui avaient été contraints par les régimes de sanctions.

Au-delà du développement des capacités des « deux marines » de Téhéran (1), y compris celui, spectaculaire, des porte – drones auxiliaires (2), l’Iran dispose d’une réelle stratégie de développement de ses capacités aériennes. Ces dernières sont pluridimensionnelles. L’attention s’est historiquement portée sur les systèmes de missiles balistiques de portée moyenne et intermédiaire, susceptibles d’être mis à profit en cas de franchissement du seuil nucléaire (3), mais cela tend à déconsidérer les efforts entrepris tant pour moderniser la force aérienne que pour mettre au point des systèmes plus innovants, comme les OWA-UAV (One way attack Unmanned aerial vehicle). L’expérience de la force aérienne iranienne s’est forgée dans un double défi intriqué.

D’une part, une montée en puissance appuyée sur l’aide américaine, aide qui a été interrompue avec la révolution islamique. Si des F‑14 ont été reçus à ce moment, comme deux B‑747 de ravitaillement en vol (4), il n’est plus question de recevoir les jusqu’à 300 F‑16 (5) et les sept E‑3A AWACS de détection aérienne avancée espérés. Or avec la Révolution islamique s’interrompent aussi les flux de formation et de pièces détachées, sans compter que nombre de pilotes et de techniciens qui ont été en contact avec les Américains sont considérés comme susceptibles d’être fidèles au shah et sont emprisonnés, au moins un temps. Tout aussi problématique, la coopération avec les États-Unis cesse alors que la transformation du système de gestion logistique, en cours d’informatisation, est en cours, ce qui provoque le chaos (6). Les Iraniens parviendront néanmoins à l’utiliser à partir de 1984, et à optimiser leur gestion des rechanges.

D’autre part, la guerre Iran-Irak elle-même met la nouvelle force aérienne de la République islamique à rude épreuve, face à un Irak bien équipé en chasseurs, mais surtout en défenses aériennes. Ainsi, 60 % des pertes de Téhéran leur sont imputables, contre 30 % à la chasse, 7 % aux accidents et 3 % à des attaques au sol. Les pertes mutuelles sont bien réelles (synthétisées dans le tableau ci-contre), mais tournent à l’avantage de l’Iran et montrent l’importance des systèmes avancés, comme le F‑14 et ses missiles AIM‑54 Phoenix, qui peuvent servir d’AWACS de substitution. Téhéran sera capable de mener des raids dans la profondeur irakienne, et s’engagera dans la « guerre des tankers » – mais il sera aussi forcé de se cantonner à une posture défensive plus la guerre durera.

La crainte de l’attrition motive une posture plus prudente dès le milieu de la guerre – Téhéran peut cependant soutenir jusqu’à 120 sorties quotidiennes avec de 60 à 80 appareils opérationnels en permanence. C’est aussi en 1985 que la force aérienne des Gardiens de la révolution est mise en place ; peu à peu, elle sera dotée de capacités propres – qui seront surtout centrées sur la mise en œuvre de missiles balistiques et des capacités stratégiques. Pour l’Artesh (forces régulières), après la guerre, la conservation de capacités se couple à des achats effectués en Chine (F‑7 Airguard) et en URSS (MiG‑29, Su‑24). En 1991, l’Irak envoie en Iran plus de 120 appareils, incluant 24 Mirage F‑1, 24 Su‑24, 4 MiG‑29, 44 Su‑20/22, mais aussi un Il‑76 Adnan de détection aérienne avancée. Ces appareils, dont certains sont intégrés aux forces iraniennes, seront finalement reversés à l’Irak en juin 2014, sans que l’on connaisse leur état opérationnel ; les Iraniens indiquent les avoir modifiés pour y intégrer leurs armements, les rendant utiles dans la guerre contre l’État islamique. Mais ces différentes évolutions de la stratégie des moyens sont aussi un pis – aller : Téhéran se retrouve à multiplier ses sources d’approvisionnement en appareils, qui plus est dans un contexte de sanctions. En l’occurrence, l’Iran développe également ses aptitudes au maintien en condition opérationnelle, suffisamment pour lui permettre d’envisager une industrialisation des logiques de rétro – ingénierie de pièces, mais surtout d’armement.

Pertes comparées durant la guerre Iran-Irak

En matière d’aviation, le bilan est maigre. Trois designs « nationaux » sont issus du F‑5 Tiger II : le Kowsar, qui est la version biplace ; l’Azarakhsh, qui semble surtout être un F‑5 reconstruit ; le Saeqeh, version la plus aisément identifiable avec deux dérives inclinées et, manifestement, une cellule virtuellement identique à celle du F‑5. Un Saeqeh‑2, biplace, a été évoqué, mais jamais observé. Moins de 20 appareils, tous types rétro – ingénierés confondus, auraient été (re)construits. Le Qaher, monoplace biréacteur ultracompact et furtif présenté en 2013, a suscité plus de doutes que de données recueillies en vol puisqu’il n’a jamais volé. Au bilan donc, le salut de la force aérienne iranienne est moins à attendre du constructeur national HESA que d’achats à l’étranger. Encore faut-il les relativiser : la possibilité d’une livraison de Su‑35 par la Russie, en compensation de celles de drones et d’OWA-UAV à Moscou, ne porte que sur 24 appareils, et doit encore être concrétisée.

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