En revanche, la stratégie de sécurité des États-Unis est restée cohérente et leur puissance militaire — notamment navale — demeure leur plus grande force régionale. Pourtant, cet avantage s’amenuise : la plupart des analyses minutieuses de l’équilibre relatif de la capacité de force des États-Unis et de la Chine dans le Pacifique occidental reconnaissent les progrès de l’APL en matière de systèmes A2/AD, ce qui rend beaucoup plus difficile la réalisation des objectifs américains, même si les capacités militaires globales des États-Unis restent largement supérieures à celles de la Chine (7) [voir l’analyse d’É. Véron p. 53]. En effet, certains chefs militaires avertissent que la diminution des capacités américaines pourrait encourager une invasion de Taïwan (8). La force relative de l’armée américaine dans l’Indo-Pacifique est importante pour l’Europe et pour les partenaires et alliés régionaux dans l’océan Indien et le Pacifique occidental. Ils craignent que la faiblesse croissante des États-Unis ne les oblige à se préparer à un avenir où le leadership et les capacités américaines seront mis à rude épreuve. Dans ce cas, les Européens devront réévaluer leurs priorités en matière de sécurité, car ils dépendent de plus en plus de la paix et de la vitalité économique dans la région indo-pacifique et devront, pour reprendre l’expression évocatrice de François Heisbourg, « s’organiser pour l’incertitude ». La prise en compte de ces préoccupations concernant la diminution de la supériorité militaire américaine a incité l’administration Biden à agir.
La réponse stratégique de l’administration Biden
En 2021, l’administration Biden a annoncé une nouvelle stratégie indo-pacifique, augmentant les ressources du ministère de la Défense pour la coopération en matière de sécurité, mais aussi renforçant notamment les bases régionales, concentrant les exercices militaires bilatéraux et multilatéraux sur les principaux points chauds, et poursuivant les opérations de liberté de navigation, en particulier dans les mers de Chine orientale et méridionale.
Ressources
Au total, en 2023, l’administration Biden a investi plus de 1,2 milliard de dollars dans des initiatives de coopération en matière de sécurité dans l’ensemble de la région indo-pacifique, afin de « renforcer les capacités des partenaires indo-pacifiques, leur connaissance du domaine maritime et leur résilience face à la coercition » (9). Elle a également augmenté le budget de l’Initiative de dissuasion dans le Pacifique (PDI), conçue pour contrer l’agression chinoise et nord-coréenne. En 2020, la PDI a débuté comme une initiative de coopération entre le Congrès et l’administration Trump, soulignant que « l’administration soutient l’intention du Comité de souligner notre profond engagement à défendre nos intérêts et ceux de nos alliés dans la région indo-pacifique » (10). Dans son budget pour l’année fiscale 2024, l’administration Biden a réaffirmé cet engagement en demandant un budget de 9,1 milliards de dollars (11). Il est important de noter que la PDI ne représente qu’une partie des ressources que le ministère de la Défense consacre à la région indo-pacifique pour dissuader toute agression.
Bases indo-pacifiques
Pour les États-Unis, les bases à l’étranger « fournissent les capacités immédiates nécessaires pour contrer des actes d’agression majeurs de la part de pays » et, dans de nombreux cas, assurent la présence avancée nécessaire pour soutenir les relations diplomatiques, politiques et économiques avec les alliés et partenaires américains. Ils stationnent environ 375 000 militaires américains dans 66 sites distincts dans l’Indo-Pacifique (12). Cela représente un pourcentage significatif du personnel en service actif dans bon nombre des bases les plus importantes en dehors des États-Unis. Il est possible que ces chiffres n’augmentent pas de manière significative dans les années à venir. Néanmoins, les administrations Trump et Biden ont engagé des ressources substantielles destinées à améliorer la létalité des forces américaines, leur portée dans la région, leur connexion logistique avec d’autres bases américaines et leur capacité de défense face à une agression, en particulier de la part de la République populaire de Chine. L’armée de l’air américaine prévoit même de remettre en service des bases « mises en sommeil » et « se développera par paliers visibles dans le temps, probablement sur 10 à 15 ans » (13). Les efforts de l’administration Biden pour améliorer l’infrastructure de défense dans l’Indo-Pacifique s’appuient sur « l’accent mis sur la concurrence stratégique avec la Chine par l’administration Trump, qui a donné la priorité aux investissements dans l’infrastructure dans des endroits tels que Guam et la Micronésie, tout en recherchant des contributions plus importantes de la part des alliés de l’Indo-Pacifique pour soutenir les couts d’implantation des États-Unis » (14).
Exercices militaires
En général, le nombre, les lieux et la diversité des exercices militaires américains en disent long sur la politique étrangère et de sécurité d’un pays. Les exercices sont l’un des moyens les plus importants par lesquels les armées collaborent et se coordonnent sur d’importantes questions stratégiques, tactiques et opérationnelles. Les exercices peuvent rassurer les alliés et les partenaires, normaliser les opérations, renforcer l’influence diplomatique et dissuader les adversaires. Comme le montre la figure 1, l’administration Biden a introduit de nouveaux exercices militaires dans la région indo-pacifique et en a élargi d’autres. Des alliés clés tels que l’Australie et le Japon, et des partenaires émergents comme l’Inde, utilisent ces exercices pour accroitre l’interopérabilité dans des missions militaires telles que la défense aérienne, et pour compléter les politiques diplomatiques et politiques qui soutiennent des objectifs régionaux clés tels que la liberté de navigation. Et, bien entendu, ces exercices constituent un élément important de la dissuasion régionale intégrée, en rappelant aux adversaires potentiels le cout d’un conflit.