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Quelles conséquences capacitaires pour le M2MC ?

Les opérations multidomaines, ou Multidomain operations (MDO) en anglais, sont un concept forgé au sein de l’US Army qui vise principalement à assurer une meilleure efficacité des feux au profit des forces terrestres par une mise en réseau des capteurs et des effecteurs, quelle que soit leur armée d’appartenance. Ce concept a été transposé en France sous le nom d’opérations multimilieux/multichamps (M2MC).

On distingue cinq milieux (terrestre, aérien, maritime, extra – atmosphérique et cyber) et deux champs (électromagnétique et informationnel). À la différence du concept américain, très « fire centric », le concept français se veut plus large et vise la convergence des effets cinétiques et non cinétiques, et ce, dès le temps de la compétition. Très concrètement, il s’agit d’intégrer les nouveaux domaines de lutte que sont le cyber et l’espace extra – atmosphérique et de se réapproprier ceux que l’on avait eu tendance à négliger, notamment la maîtrise des ondes, autrement dit du spectre électromagnétique.

La gamme des effets non cinétiques est assez vaste et peut être mise en œuvre dès le temps de la compétition, temps où l’action dans le champ des perceptions est primordiale pour « gagner la guerre avant la guerre » : partenariat militaire opérationnel, signalement stratégique au moyen de grands exercices, opérations d’influence sont autant de leviers pour tenter de dissuader un adversaire potentiel ou, à défaut, préparer un engagement devenu inéluctable.

En phase de compétition et d’affrontement ouvert, effets non cinétiques et effets cinétiques viennent se conjuguer dans une manœuvre unique. À cet égard, les opérations de déception représentent la quintessence du M2MC en cherchant à tromper l’ennemi par une manœuvre coordonnée dans les milieux et les champs : actions de leurrage, actions cyber, opérations d’influence et opérations de diversion doivent pouvoir recréer temporairement le brouillard de la guerre et permettre le développement de la manœuvre aéroterrestre dans un sens qui nous est favorable.

De ces considérations il est possible de tirer une première conclusion qui est que la convergence des effets, cœur du M2MC, doit pouvoir être pensée et réa-
lisée non seulement aux niveaux stratégique et opératif, mais également au niveau tactique. Cette subsidiarité est consubstantielle à l’art de la guerre qui, certes, nécessite coordination, mais aussi coup d’œil et esprit d’initiative pour saisir les opportunités.

C’est la raison pour laquelle l’armée de Terre conçoit le champ de bataille en cinq dimensions. La 2D et la 3D représentent l’espace de bataille classique de la manœuvre aéroterrestre ; la 4D englobe le spectre électromagnétique, le cyber et les moyens de communication ; la 5D représente le champ cognitif, celui des perceptions, plus que jamais déterminant à l’heure des réseaux sociaux. Tel est le nouveau champ de bataille que doit appréhender le chef tactique d’une grande unité aéroterrestre de niveau corps d’armée, division et même brigade, sous réserve d’avoir en autonomie les moyens d’agir dans ces cinq dimensions.

À cet égard, deux capacités sont aujourd’hui déterminantes : une ancienne qu’il faut se réapproprier, la guerre électronique, et une novatrice, les drones. Dans ce nouveau champ de bataille ultraconnecté, la guerre électronique revêt une place centrale et constitue, avec les moyens feux de longue portée, le cœur des opérations, comme le prouvent les enseignements du conflit ukrainien. Avant d’engager les unités au contact, il faut donc frapper le dispositif adverse dans la profondeur et pour frapper, il faut des moyens de guerre électronique importants. En effet, toute manœuvre aéroterrestre conduite sans maîtrise du spectre électromagnétique est vouée à l’échec. Pour prendre une image, cela revient à déployer une section d’infanterie les yeux bandés dans une zone battue par les feux adverses. On imagine aisément le résultat…

Trop souvent cantonnée à la gestion du spectre, au renseignement et à l’autoprotection des vecteurs, la guerre électronique doit être appréhendée de façon globale pour en garantir la cohérence, en temps de paix comme en opérations. Concrètement, gestion du spectre, moyens de renseignement, moyens d’agression doivent être placés sous une même autorité, à l’instar de ce qui se pratique pour l’artillerie ou le génie, dans les postes de commandement tactiques pour garantir le bon emploi des moyens et éviter les brouillages intempestifs. Chaque niveau de commandement doit posséder des capacités de renseignement et de brouillage dont la portée correspond globalement à sa zone d’action.

La guerre électronique doit également être pensée en interarmées pour que le renseignement acquis par les moyens aériens ou navals puisse directement profiter aux forces terrestres. Elle doit travailler en étroite liaison avec l’artillerie et les moyens feux en général de façon à ce qu’une source d’émission adverse puisse être frappée en quelques minutes. Doter les armées, et en particulier l’armée de Terre, de capacités de guerre électronique devrait être une priorité budgétaire des années à venir, car former des spécialistes de ce type de combat se fait dans le temps long.

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