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La France a-t-elle encore une politique arabe ?

Dès la fin de la guerre d’Algérie, la France a systématiquement repris contact avec les pays arabes qui avaient rompu les relations diplomatiques au moment de la malheureuse expédition de Suez de 1956. Ainsi se sont renouées ou nouées des relations actives et souvent confiantes, y compris avec des pays où elle était absente, comme les émirats du Golfe. Le président Chirac a voulu formaliser et conforter cette orientation lorsque le 6 mars 1996, à l’université du Caire, il a évoqué la « politique arabe et méditerranéenne » de la France. Par-delà quelques principes communs, il s’agissait naturellement d’une politique à géométrie variable selon les pays, avec la volonté d’être présent dans cet ensemble de pays qui sont nos voisins proches, situés dans une zone stratégique et dont d’importantes communautés vivent en France. Très tôt attachée à contribuer à la paix entre Israël et les pays arabes, la France prône une politique équilibrée entre le maintien de la sécurité d’Israël et le soutien du processus de paix israélo-palestinien qui donnerait le droit à l’autodétermination des Palestiniens et à la création d’un État. 

À cet égard, l’année 2007 représente une rupture due à l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy qui sur ce plan, comme sur d’autres, a pris le contre-pied de son prédécesseur. Depuis lors, la politique de la France dans cette région n’a plus la même priorité, réagit plus qu’elle n’agit et semble flotter entre une volonté de maintenir ses liens avec les pays arabes et une certaine complaisance à l’égard d’Israël.

Un monde arabe non prioritaire ?

Il est vrai que le contexte international a contribué à détourner l’attention et l’intérêt pour une région, notamment dans sa partie moyen-orientale, évoluant vers un chaos de plus en plus inquiétant. Seule la volonté d’empêcher l’Iran de se doter d’un arsenal nucléaire semble susciter l’attention de la France, à l’instar des États-Unis, alors que le processus de paix israélo-palestinien était au point mort. D’autres sujets devenaient prioritaires : la relation avec la Chine de Xi Jinping et l’affirmation de sa puissance ; la politique agressive de la Russie envers l’Ukraine avec l’annexion de la Crimée dès 2014 puis l’« Opération spéciale » en 2022 devenue une véritable guerre ouverte qui menace, par-delà l’existence même de l’Ukraine, la sécurité de l’Europe. Dans le même temps, on assiste à un rejet de « l’hégémonie occidentale » par les pays d’un « Sud global » pourtant très éclaté mais instrumentalisé tant par la Russie que par la Chine. En Afrique du Nord comme au Moyen-Orient, les pays arabes entendent affirmer leur autonomie stratégique en refusant entre autres de mettre en œuvre les sanctions à l’égard de la Russie, se détachent de l’Europe et des États-Unis et affichent d’excellentes relations avec la Russie et la Chine.

À cet égard, le dernier discours du président Macron le 23 août 2023 devant la conférence des ambassadeurs est révélateur du déplacement du centre de gravité de la politique étrangère de la France. Sur une intervention de près de deux heures, seules quelques minutes ont été consacrées aux pays arabes et à Israël. Une stratégie méditerranéenne est annoncée sans autres précisions ni suivi à ce jour. Le Président évoque la nécessité de bâtir la paix et la stabilité au Moyen-Orient. Il se félicite de la normalisation des relations d’Israël avec les pays arabes mais se déclare convaincu « que le non-règlement de la question palestinienne ne permet pas durablement d’avoir la paix et la stabilité ». Il insiste sur l’objectif de lutte contre la prolifération nucléaire iranienne explicitement mentionnée [voir le focus de C. Therme p. 55]. Il marque son intérêt pour le format de la conférence de Bagdad qui doit se réunir à nouveau en présence notamment de l’Iran et de l’Arabie saoudite. Consolider la souveraineté de l’Irak, sous-entendu face à l’Iran, œuvrer à la stabilité et à la souveraineté du Liban sont brièvement évoqués. En fait, le président fait plus un constat qu’il ne définit une politique proactive.

Un engagement limité face à l’affrontement israélo-palestinien

Le 7 octobre 2023 marque à la fois le réveil brutal de la question palestinienne et un nouveau choc qui affecte la vie internationale, bien au-delà d’un champ de bataille qui ne dépasse pas quelques dizaines de kilomètres carrés.

La France a d’autant plus réagi que 42 citoyens français ont été tués tandis que d’autres ont été pris en otage par le Hamas. La surprise a été totale. Paris condamne immédiatement l’attaque terroriste atroce du Hamas et la prise d’otages, exprime sa solidarité avec Israël et définit trois axes d’actions regroupées dans « une initiative pour la paix et la sécurité » : lutte contre le terrorisme, action humanitaire et promotion d’une solution politique.

Sur le premier point, la France propose, de façon surprenante, que la coalition contre Daech puisse être utilisée contre le Hamas. Devant les réticences côté israélien comme arabe à cette initiative à l’évidence inappropriée, la France plaide pour une mobilisation contre le terrorisme propre à assurer la sécurité d’Israël et une batterie de sanctions contre le Hamas. Forte de ses bonnes relations avec le Qatar, elle demande à l’émirat qui héberge plusieurs responsables du Hamas d’intervenir pour obtenir la libération des otages.

À propos de l'auteur

Denis Bauchard

Conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à l’Institut français de relations internationales (IFRI), ancien ambassadeur en Jordanie (1989-1993) et au Canada (1998- 2001), directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères (1993-1996) et président de l’Institut du monde arabe (2002-2004).

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