La volonté de renforcer l’ancrage au Moyen-Orient
Si la diplomatie française possède plusieurs angles morts dans la région — la Syrie [voir p. 56] et le Yémen, deux pays dans lesquels la France est absente depuis qu’elle a fermé son ambassade et où l’influence française s‘est délitée, voire a disparu —, on note une volonté de Paris de renforcer son ancrage au Moyen-Orient.
Tout d’abord, le Liban reste pour la France une priorité majeure avec un fort engagement personnel du président Macron [voir p. 58] qui poursuit un double objectif : aider le pays à surmonter la grave crise politique et économique qu’il connait, et sauvegarder sa souveraineté face aux menaces de déstabilisation provenant de Syrie, d’Iran ou d’Israël.
Les relations restent bonnes avec l’Égypte du maréchal Al-Sissi et avec la Jordanie du roi Abdallah qui souhaitent diversifier leurs interlocuteurs. Cela s’est notamment concrétisé avec un important contrat signé avec Le Caire portant sur la livraison de 55 Rafale et pour les deux pays un soutien français auprès des institutions financières internationales afin de faire face à leur situation économique et financière catastrophique.
Assez paradoxalement, c’est dans le Golfe, zone longtemps sous influence exclusive anglo-saxonne, que nos relations sont les plus actives et positives. La France, qui avait établi un partenariat étroit avec Saddam Hussein, a réussi à établir de bonnes relations avec l’Irak dirigé par un pouvoir chiite. La mise en œuvre d’un méga-contrat entre Total Énergies et l’État irakien en avril 2023 confirme ce retour de la France. Pour l’Irak, la France avec laquelle existe également une coopération militaire, peut être un utile contrepoids aux influences américaines et iraniennes qui pèsent sur le pays, même si le Premier ministre actuel est soumis à une forte influence de Téhéran.
Par ailleurs, les relations de coopération étroites avec le Qatar et les Émirats arabes unis, où se trouve une base militaire française, restent fortes tant dans les domaines économiques que politiques et militaires. Les récents contrats en matière d’armement — notamment la vente de 96 Rafale au Qatar et 80 à Abou Dabi — et l’ouverture aux investissements des deux pays en France, le confirment.
Avec l’Arabie saoudite, les relations sont parfois plus compliquées du fait d’un premier contact quelque peu rugueux entre le président Macron et Mohamed ben Salmane (MBS). La France reconnait l’importance du rôle de l’Arabie saoudite dans le contexte actuel et se concerte avec elle en particulier sur le Liban. Si la France n’est plus un fournisseur d’armes aussi important que dans le passé dans le royaume saoudien, elle s’est vu offrir une place privilégiée dans la politique d’ouverture touristique du royaume, notamment sur le site de Al-Ulla. On peut y voir la volonté de MBS de se dégager d’une relation trop exclusive avec les États-Unis et de diversifier ses interlocuteurs.
Ainsi, dans cette zone, une coopération se poursuit, notamment dans les domaines sensibles de l’armement et des hydrocarbures, avec des succès inégaux.
Une image néanmoins dégradée
D’une façon générale, on a assisté depuis quelques années à la dégradation de l’image de la France dans cette zone sensible. Les raisons en sont diverses : durcissement de sa politique d’immigration, problèmes des banlieues, complaisance supposée à l’égard d’Israël. L’évolution de la politique menée par les autorités françaises vis-à-vis de sa communauté musulmane est, à tort ou à raison, de plus en plus critiquée, y compris par des pays musulmans avec lesquels les relations sont traditionnellement bonnes, comme la Jordanie ou le Maroc. L’affaire du voile, récurrente depuis 1989, a été un des éléments les plus négatifs. Mais les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le « séparatisme » à travers la loi « confortant les principes républicains » de même que la déclaration du président Macron le 21 octobre à la Sorbonne de ne pas renoncer aux caricatures, ont suscité des manifestations violentes et des menaces contre les intérêts de la France dans l’ensemble du monde musulman, au-delà même du Moyen-Orient. Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, des drapeaux français et des portraits du président ont été brûlés du Maroc à l’Indonésie. Cette évolution interpelle, même s’il ne faut pas en surestimer la portée.
Il faut reconnaitre que le président Macron a hérité d’une situation qui, après les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, s’était déjà fortement dégradée. De plus, il a été confronté à un contexte international très difficile, marqué avec Donald Trump par une politique américaine erratique et agressive, et à une pandémie qui a exacerbé les intérêts nationaux avec de graves conséquences économiques et sociales. Cette crise a freiné les relations internationales, fortement limité les contacts personnels indispensables en diplomatie et accentué l’effacement international de l’Europe. Il en est de même du développement de la guerre en Ukraine, qui a amplifié l’hostilité du « Sud global » vis-à-vis de l’Occident. Cependant, il ne faut pas négliger la personnalité même du président Macron, animé d’un fort volontarisme et adepte du parler « cash » et de la diplomatie « disruptive », qui a pu certes jouer dans le sens de l’efficacité et parfois aussi indisposer ses partenaires et avoir un impact dans une région où la qualité des relations personnelles joue un rôle important.
Ainsi on ne peut que constater la perte d’influence de l’Europe en général et de la France en particulier, alors même que notre pays jusqu’en 2007 avait une politique active et cohérente et bénéficiait d’une image favorable dans le monde arabe. Cette situation mérite que l’on analyse ses causes et que l’on définisse les moyens à réunir pour jouer de nouveau un rôle actif et apprécié dans cette zone d’importance majeure pour notre sécurité.
Légende de la photo en première page : Le 25 octobre 2023, Emmanuel Macron est reçu en Jordanie par le roi Abdallah II. Fin octobre, le président français Emmanuel Macron entamait une tournée au Proche-Orient, faisant de lui le seul dirigeant à effectuer une visite combinée en Israël, en Cisjordanie, en Jordanie et en Égypte. Si le président français estime qu’une opération « massive » à Gaza serait « une erreur », il a annoncé depuis Le Caire, où il s’est entretenu avec le président égyptien Al-Sissi, l’envoi d’un navire militaire et de matériel médical pour « soutenir » les hôpitaux de Gaza. (© Royal Hashemite Court RHC)