Bien que la possibilité d’une attaque russe directe contre un membre de l’OTAN ne puisse pas être totalement exclue, plusieurs facteurs rendent cela peu probable. La dissuasion nucléaire, les mesures prises pour une meilleure posture de dissuasion et de défense collective, les coûts de la guerre en Ukraine élevés pour la Russie et le support continu de l’Ukraine contre son agresseur sont autant d’éléments qui contribuent à prévenir un tel développement. La volonté de rester uni dans les actions, aussi bien au niveau européen qu’au niveau transatlantique, constitue le dénominateur commun indispensable pour éviter l’aggravation de la situation sécuritaire.
L’Armée luxembourgeoise est historiquement marquée par des fonctions d’infanterie légère/motorisée et de reconnaissance. Au vu d’une guerre en Ukraine où les assauts blindés/mécanisés sont de plus en plus complexes, la « voie de la légèreté » vous paraît-elle avoir de l’avenir ? Comment la rendre plus efficiente ?
L’OTAN demande à ses membres de continuellement transformer leurs capacités militaires afin de répondre aux menaces posées à l’Alliance. Par le passé, l’OTAN demandait au Luxembourg de fournir une capacité de reconnaissance légère. Les choses ont évolué avec le contexte géostratégique global et l’évolution des menaces. Aujourd’hui, l’Armée luxembourgeoise est en mutation et ajoute à ses capacités de reconnaissance des forces plus robustes comprenant des équipes de tireurs d’élite, des équipes disposant de moyens antichars MMP (1) et des équipes JTAC (2) capables de diriger l’appui aérien rapproché. Il en découlera une capacité de reconnaissance de combat, bien que toujours de type léger. À l’horizon 2028-2032, en ligne par rapport aux objectifs capacitaires reçus par l’OTAN en 2021, le Luxembourg, avec son partenaire belge, va mettre en place une capacité de reconnaissance de combat de type médian.
Cet objectif capacitaire sera atteint par paliers. En 2025-2026, la première étape consistera à remplacer les véhicules de reconnaissance actuels, les PRV (3) basés sur le Dingo, par les CLRV (4) basés sur l’Eagle V. Le poids de ces véhicules se situe aux environs de 12 tonnes pour le PRV et de 10 tonnes pour le CLRV.
La deuxième étape, entre 2027 et 2031, se traduira par l’évolution vers des unités de reconnaissance de combat de type médian. Il s’agit d’un processus hautement complexe par lequel l’Armée luxembourgeoise changera profondément au niveau doctrinal, organisationnel, infrastructurel, de l’entraînement, de la formation et des plateformes véhiculaires. Le poids des véhicules de combat fera plus que doubler par rapport aux PRV et atteindra 25 tonnes. En mai 2024, la ministre de la Défense, Yuriko Backes, a déposé le projet de loi concernant l’acquisition et le soutien logistique de ces futurs véhicules. Avec une enveloppe budgétaire de 2,6 milliards euros, répartie sur la durée de vie estimée des véhicules, soit 30 ans, il s’agit du plus gros investissement dans la défense de l’histoire du Grand-Duché. L’évolution vers la capacité de reconnaissance de combat de type médian se fera en étroite collaboration avec nos partenaires belges et français.
En juin 2023, la Belgique et le Luxembourg ont signé un accord de création d’un bataillon binational de reconnaissance de combat de type médian. Où en est ce projet, des points de vue organique et matériel ou concernant les personnels ?
En 2021, le Luxembourg et la Belgique ont accepté l’objectif capacitaire de mettre en place une capacité de reconnaissance de combat de type médian commune. De potentielles synergies ont pu être identifiées avec la Belgique, qui depuis toujours est le partenaire clé de l’Armée luxembourgeoise. Il en résulte les signatures de l’accord de coopération belgo – luxembourgeois en juin 2023 et celui de l’arrangement technique « Ermesinde » en février 2024 avec la création du comité directeur. Ce dernier est responsable des coordinations nécessaires pour mener à bien ce projet binational. Nous nous trouvons actuellement dans la phase de conceptualisation de la mise en place et de la mise en œuvre du bataillon. Ces travaux permettent entre autres à l’Armée luxembourgeoise d’adopter les lois financières nécessaires pour se doter des équipements, infrastructures et munitions dont elle a besoin.
Le bataillon comprendra in fine quatre escadrons de reconnaissance de combat de type médian, dont deux seront fournis par le Luxembourg et deux par la Belgique. L’état – major, la compagnie logistique et des capacités d’appui au combat seront composés à parts égales de militaires luxembourgeois et belges. La majeure partie du bataillon sera localisée à Arlon. Notons qu’il s’agit de la première fois dans l’histoire de l’Armée luxembourgeoise que celle-ci se dotera de véhicules lourds de type combat avec un armement allant jusqu’à 40 mm. À côté des véhicules Jaguar, Griffon et Serval du programme SCORPION français, les escadrons luxembourgeois comprendront aussi des CLRV « scorpionisés » qui seront mis en œuvre de manière complémentaire et interopérable au sein du bataillon binational.
Au-delà de la composante axée terrain, il est à noter que la partie logistique prendra de l’ampleur. La logistique étant la clé de voûte dans un conflit armé, la compagnie logistique du bataillon binational disposera d’un centre logistique moderne spécifique. Celui-ci sera implanté à Sanem, localité luxembourgeoise à proximité de la frontière belgo – luxembourgeoise et disposant d’un accès direct au réseau ferroviaire. Pour être à la hauteur de ses tâches futures, l’Armée luxembourgeoise planifie d’augmenter son effectif actuel d’environ 200 personnes.