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De l’intime à l’emploi : les enjeux de la jeunesse au sultanat d’Oman

Les « printemps arabes » de 2011, la pandémie de Covid-19 ou le décès du sultan Qabous ibn Saïd (1970-2020) sont autant d’événements qui ont impacté l’économie d’Oman, marquée par des phases de fort chômage. Les revenus issus des hydrocarbures permettent à l’État de soutenir le secteur public, dans lequel seuls les nationaux peuvent travailler, mais sans apporter de solutions pérennes. Les jeunes sont les premiers touchés par ces fluctuations, au point d’être ralentis dans leurs projets d’avenir ; ils offrent une image fidèle des problématiques que traverse un pays en pleine retransformation.

Mascate, 14 février 2017. Au campus de l’université Sultan Qabous (SQU), le bureau des étudiants organise un événement afin de faire connaître ses activités. Des chaises ont été disposées face à une scène où sera donné un concert de musique arabe classique. Le public se forme : les hommes, vêtus de dishdashas (vêtement long blanc), coiffés d’un masar (turban) ou d’une kumma (toque), prennent place, quand, de l’autre côté, les femmes s’installent, apprêtées d’abayas (tenue ample et longue) et voilées. Parmi elles, Anud, qui vient de terminer sa licence en sociologie. Elle se doit d’assister à l’événement puisqu’elle travaille désormais en tant qu’accompagnatrice pour les étudiants handicapés. Mais, ce soir-là, elle réfléchit à un moyen de s’éclipser au plus vite : elle espère pouvoir célébrer la Saint-Valentin avec son petit copain. Elle s’impatiente, car si ce dernier venait à tarder, elle devrait trouver une excuse pour avoir dépassé le couvre-feu de la résidence où elle loge. Originaire du gouvernorat de Dakhiliyah, à deux heures de Mascate, elle aimerait se marier au plus vite avec ce jeune homme rencontré sur les réseaux, ce qui lui permettrait de s’installer avec lui et de ne plus dépendre de sa famille.

Elle salue plusieurs étudiantes, dont un groupe originaire du Dhofar, au sud-ouest d’Oman. Les filles suivent des cursus allant de la littérature au management. Bien qu’elles viennent de la même région, elles se sont connues à Mascate, où elles partagent une chambre. Derrière elles se trouvent deux amies d’Anud. Elles habitent chez leurs parents à Al-Amrat, une ville située de l’autre côté de la chaîne montagneuse qui longe la capitale. Elles aussi portent une abaya et un voile noir. Plusieurs jours plus tard, l’une d’elles partagera un moment avec son petit ami sur la terrasse d’un restaurant, vêtue d’un jean moulant et chaussée de talons compensés, gardant les cheveux détachés.

Étudier à Mascate, l’expérience de l’indépendance

Comme les deux faces d’une même pièce, ces scènes illustrent les enjeux de la jeunesse omanaise. Qu’il s’agisse des études ou du flirt, le passage à l’âge adulte est fait de rencontres, d’apprentissages, de nouvelles responsabilités. Par son effet polarisant, Mascate joue un rôle crucial dans la manière dont la nouvelle génération se forge son identité. Sur une population de 5,1 millions d’habitants, plus d’un million vit dans la capitale. Échappant au contrôle familial, des jeunes venus de tout le pays défient les structures traditionnelles du mariage et le poids familial. Ces deux faces de la pièce sont dépendantes l’une de l’autre : devenir adulte à Oman est oblitéré par le mariage à condition d’en avoir les moyens financiers, et donc de terminer ses études pour obtenir un emploi au plus vite.

Le sultanat compte environ 30 universités, dont la majorité se trouve à Mascate. La capitale accueille ainsi des étudiants provenant des quatre coins du pays, et, loin de leurs familles, les ruraux jouissent d’une certaine indépendance. L’université est l’occasion de nouvelles rencontres, et de découvrir la diversité culturelle qui particularise la société omanaise. En effet, de nombreux jeunes du nord et du sud sont sunnites, tandis que ceux de l’intérieur sont ibadites, comme la plupart des Mascatis. Plusieurs communautés ethnolinguistiques sont également implantées à Mascate. Les Lawatis (chiites) ou les Balushis (sunnites) trouvent leurs origines en Iran. Les Swahilis, également ibadites, ont quant à eux gardé des liens avec l’Afrique de l’Est, que leurs ancêtres avaient conquise quelques siècles auparavant.

Ce mélange des cultures est visible sur les campus. En partageant des moments intimes en fin de journée ou dans les salles de cours, les jeunes découvrent les dialectes et pratiques locales des différentes régions d’Oman. La découverte de la diversité culturelle participe en cela à l’entrée à l’âge adulte en comparaison avec les générations précédentes. Il faut rappeler que les premiers centres de formation et universités n’ont ouvert leurs portes que dans les années 1970. En plus d’acquérir des compétences qui leur donneront accès au monde de l’emploi, les jeunes se différencient de leurs parents en façonnant leur identité non seulement à partir de critères relatifs à l’appartenance tribale, comme c’était le cas auparavant, mais aussi à partir de critères ethnolinguistiques, religieux et régionaux.

À propos de l'auteur

Marion Breteau

Anthropologue à l’American University of Kuwait, chercheure associée au Centre français de recherche de la péninsule Arabique (CEFREPA ; Koweït)

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