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De l’intime à l’emploi : les enjeux de la jeunesse au sultanat d’Oman

La liberté dont les jeunes jouissent à Mascate est néanmoins limitée, notamment pour ceux dont des membres de la famille y sont déjà installés. C’est ce à quoi a été confrontée une étudiante originaire du nord, qui s’est vue autorisée à poursuivre ses études à Mascate parce que son frère étudiait dans la même université. Quand elle logeait en résidence, son frère partageait une colocation avec des amis en dehors du campus. Les parents du jeune homme lui ont payé des leçons de conduite et une voiture pour qu’il accompagne sa sœur lors de déplacements et pour qu’ils reviennent chaque week-end dans leur ville d’origine. Avant que sa sœur n’arrive, celui-ci pouvait rentrer seulement quand il le souhaitait. S’il ressent sa situation comme une contrainte, elle est pourtant une condition à son indépendance, car c’est en se voyant donner la responsabilité de sa sœur qu’il a pu obtenir une voiture et profiter de cette mobilité pour des excursions. L’obtention du permis de conduire et l’expérience universitaire marquent des étapes vers l’âge adulte : elles apparaissent comme des possibilités de libertés nouvelles, mais entraînent aussi des contraintes et des responsabilités dont les jeunes n’avaient pas la charge jusque-là.

De l’élan amoureux au mariage

Comme l’a confié une étudiante de l’université de la ville de Nizwa, les études ont été un « grand saut dans la vie », car elle a dû faire face à d’autres hommes que les seuls membres de sa famille. L’entrée dans l’âge adulte diffère selon les hommes et les femmes, ce que les jeunes réalisent en faisant l’expérience de la mixité. À Oman, la plupart des universités ne sont pas ségréguées, quand à Mascate les occasions de sortie et les loisirs sont plus importants qu’à la campagne. Les jeunes aiment flâner dans les magasins, aller au cinéma, ou passer du temps dans des coffee shops, autant de services réunis dans les malls. À l’université, ils peuvent s’inscrire à des clubs en tout genre, ce qui leur permet de créer des liens avec des personnes de l’autre sexe.

Les jeunes reproduisent malgré tout une certaine séparation, notamment en raison des règles qui régissent les espaces publics. Ainsi, durant les cérémonies de la remise des diplômes de SQU, une séparation est marquée entre les hommes et les femmes et assurée par des vigiles. Les opportunités de rencontres sont déterminées par des situations comme celle-ci. Si elles sont compliquées à instaurer, beaucoup de jeunes développent des stratégies pour outrepasser ces restrictions. Compte tenu de l’indépendance qu’ils acquièrent une fois à la capitale, Mascate est aussi l’occasion pour les ruraux d’avoir des relations amoureuses. Ce phénomène s’explique par la prohibition des interactions mixtes et l’importance cruciale donnée au mariage comme seul cadre autorisé pour une relation affective. Étant donné la valeur, notamment religieuse, de la virginité, et au regard de l’honneur familial, les relations amoureuses dépassent rarement le seuil du contact intime. Dans un contexte où la population est si peu nombreuse, il n’est pas rare de se trouver en relation familiale, ne serait-ce qu’à un degré éloigné. Si un proche venait à découvrir l’existence d’une relation intime, notamment de la part d’une jeune femme, l’honneur serait entaché, et il y aurait peu de chances pour que les parents acceptent que leurs enfants se marient après une relation qui, au regard de la loi, demeure illicite. L’acquisition d’une voiture prend alors tout son sens, car celle-ci devient un lieu de rencontre. En se donnant rendez-vous sur un parking éloigné du centre-ville, les amoureux se retrouvent dans le véhicule de l’un des deux ou restent chacun dans sa voiture, échangeant par la vitre baissée ou par textos interposés.

Une relation amoureuse peut aboutir à un mariage, étape cruciale dans l’inscription d’un individu au statut d’adulte. Une fois marié, celui-ci est considéré comme responsable moralement et financièrement. Mais beaucoup de jeunes envisagent le mariage avec autant de hâte que d’appréhension, car les attentes de leurs familles sont nombreuses. Non seulement il est souhaité de se marier avec une personne d’une famille respectable qui, au mieux, partagerait les mêmes origines, voire avec une personne de la même famille, mais il faut aussi pouvoir financer l’organisation d’un mariage et l’installation du couple à son issue. Un mariage à Oman comprend deux fêtes : la malka, qui célèbre l’union religieuse, et le urs, organisé quelques mois plus tard, suivi par l’installation du couple. Ces deux fêtes peuvent s’équivaloir en dépenses, qui incluent la location d’une salle des fêtes, un buffet pour les invités, parfois la présence d’un DJ et d’un photographe, en plus de la préparation des mariés et de leurs tenues. Et, en plus d’être au nombre de deux, ces fêtes sont célébrées séparément par les hommes et par les femmes, ce qui augmente les frais.

Afin de payer ces dépenses, certains couples utilisent la compensation matrimoniale (mahar) offerte par le futur époux à sa femme. Cette somme était estimée à 5 000 rials, soit environ 11 000 euros, en 2015. Le montant de cette compensation, qui a une valeur juridique en cas de divorce (elle doit être rendue), dépend des familles, des régions, parfois de la réputation de la prétendante. Enfin, il faut compter le trousseau de la mariée, qui comprend aussi bien des robes que des bijoux en or ; ces dépenses peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros. Le mahar est souvent une préoccupation pour les jeunes hommes qui ne peuvent pas compter sur leur famille afin d’en réunir la somme. Conscient des freins existants à la réalisation d’un mariage, le sultan a émis un décret visant à limiter le montant du mahar. Comme dans d’autres monarchies du Golfe, un fonds de soutien financier a également été mis en place pour les couples en difficulté, quand certaines banques proposent des « prêts matrimoniaux ».

À propos de l'auteur

Marion Breteau

Anthropologue à l’American University of Kuwait, chercheure associée au Centre français de recherche de la péninsule Arabique (CEFREPA ; Koweït)

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