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De l’intime à l’emploi : les enjeux de la jeunesse au sultanat d’Oman

Pour les jeunes ruraux qui se sont rencontrés à Mascate, le mariage pose enfin la question de leur ancrage géographique lors de leur installation. Il peut arriver que les fêtes de mariage mettent face à face des pratiques à première vue incompatibles. Par exemple, Aisha, qui vient du nord, s’est mariée avec un homme du sud-est. Dans cette région, il est admis que les proches de la mariée assistent au repas du lendemain des fêtes (sabahia), ou que le drap virginal soit montré aux invités. Cette pratique est perçue comme religieusement inacceptable dans la région dont Aisha est issue, et il est aussi considéré que la famille de la jeune femme ne doit pas prendre part pas à la ­sabahia afin de marquer son statut de mariée. Pour un couple qui serait de deux origines différentes, une fête, comme sûrement le foyer à construire, est donc sujet à ajustements et concessions. Ce phénomène semble récent. Le mariage traditionnel, qui consiste à unir des personnes d’une même famille (souvent cousins), était majoritaire au sein des générations précédentes, quand les unions exogamiques (entre personnes de familles différentes) sont désormais en augmentation.

Crise après crise, peu d’espoir d’un lendemain ?

Le financement d’un mariage demande de trouver un emploi au plus vite, mais, là encore, plusieurs obstacles surviennent. Au sultanat d’Oman, les révolutions arabes de 2011 ont éclaté avec pour fond de revendication le manque de travail. Les premières manifestations, survenues en janvier 2011 à Mascate, ont été suivies par d’autres mouvements à Sohar, dans le nord. Ceux-ci ont été réprimés par la police et l’armée de manière parfois violente (1). Si les revendications étaient diverses et ciblaient également le gouvernement, il faut noter qu’elles étaient en majorité portées par les jeunes, dont le taux de chômage était en hausse exponentielle à cette période. Le sultan Qabous ibn Saïd a alors répondu à ces soulèvements en créant 50 000 postes dans le secteur public. Il a fait débloquer de nouvelles allocations de chômage, et a réduit le taux de cotisation à la retraite. Il a également fait augmenter le montant des bourses pour les étudiants résidant en dehors du domicile familial, ainsi que le salaire minimum dans le secteur privé (2). Si ces mesures ont permis de résorber le chômage chez les jeunes, elles s’avèrent n’avoir eu qu’un effet de court terme. En 2017, la baisse de production des hydrocarbures, sur lesquels l’économie omanaise repose, a entraîné avec elle une nouvelle vague de chômage. La même année, celui-ci s’élevait à 30 % chez les moins de 24 ans.

Il a atteint son taux le plus élevé en 2020, année marquée par deux événements majeurs. Le 10 janvier 2020, à l’aube de cinquante ans de règne, les médias annonçaient le décès du sultan. Dès le lendemain, son successeur, Haïtham ben Tariq al-Saïd, s’est retrouvé à diriger une population attachée à un dirigeant à qui elle doit les fondements de la nation moderne, mais aussi à devoir apporter une réponse à la crise de la Covid-19. Plusieurs mesures ont été mises en place, notamment dans le secteur privé. Néanmoins, le prix du baril de pétrole n’a cessé de chuter (3). La rente, qui profite plus directement au secteur public, a ainsi entraîné une hausse du chômage, privant par exemple d’emploi 50 % de jeunes dans le secteur touristique, brutalement mis à l’arrêt durant la pandémie (4).

L’espoir d’une relance est porté par le projet « Vision 2040 » (5). Annoncé en 2013, ce programme gouvernemental vise à diversifier l’économie à long terme, à renforcer la nationalisation de la main-d’œuvre, et à favoriser l’investissement étranger pour soutenir le secteur privé. De nombreuses initiatives ont ainsi pour but de favoriser le développement de microentreprises. Celles-ci s’avèrent portées par une population jeune qui combine des emplois dans le secteur public avec la création de petites sociétés (6). Les jeunes sont également actifs dans la fondation d’associations culturelles qui fleurissent de manière significative depuis la fin progressive de la crise sanitaire.

Ces initiatives, de même que la capacité à faire groupe au moment des révoltes de 2011, montrent que les jeunes ont conscience des fragilités qui marquent le sultanat et leur participation à la vie politique est en cela décisive. Le système omanais comprend un Conseil consultatif (Majlis al-Choura), dont un corps de quelque 715 000 personnes élit tous les quatre ans les 86 membres. Néanmoins, beaucoup de jeunes reprochent à ce fonctionnement d’avoir peu d’effets : consultative, cette assemblée n’a pas de pouvoir exécutif, et beaucoup pensent qu’elle servirait surtout aux intérêts des membres élus et de leurs communautés tribales. Bien que beaucoup d’entre eux aspirent à un régime plus démocratique, les jeunes se détournent de la politique en s’abstenant de voter, et très peu sont ceux qui envisagent une carrière d’élu pour un jour représenter leurs concitoyens au Majlis al-Choura (7).

Si Oman ne réussit pas à résorber la situation économique à laquelle il est confronté, et si les jeunes ne peuvent trouver de marge de manœuvre pour s’insérer dans leur société, il est probable que le mot « jeunesse » ne deviendra qu’un synonyme d’attente et de stagnation. Néanmoins, il peut aussi être vu comme la promesse d’une indépendance progressive de cette génération en devenir, autant par sa capacité à se rassembler que dans celle à réinventer sa vie intime. Encore faudra-t-il que le sultanat sache tirer le meilleur de ces citoyens dans les années à venir. 

Notes

(1) Marc Valeri, « The Suhar Paradox : Social and Political Mobilisations in the Sultanate of Oman since 2011 », in Arabian Humanities, no 4, 2015.

(2) Yasmina Abouzzohour, « Oman, Ten Years After the Arab Spring : The Evolution of State-Society Relations », Arab Reform Initiative, 9 février 2021.

(3) Nicolai Due-Gundersen et Francis Owtram, « The Foundation, Development and Future of the Omani Rentier State : From the Dhofar War to Vision 2040 », in Arabian Humanities, no 16, 2022.

(4) Quentin Müller, « Oman. Incertitudes économiques, défis sociaux », in Orient XXI, 30 avril 2020.

(5) Maho Sebiane, Marion Breteau et Sterenn le Maguer-Gillon, « Oman au fil du temps », in Arabian Humanities, no 15, 2022.

(6) Marion Breteau et Ahmed al-Suleimani, « Education, Youth and Employment in Oman », in Arabian Humanities, no 16, 2022.

(7) Sulaiman H. Al-Farsi, Democracy and Youth in the Middle East : Islam, Tribalism and the Rentier State in Oman, I. B. Tauris 2013.

Légende de la photo en première page : Mariage à Mascate, en février 2017. © Shutterstock/Kertua

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°59, « Bilan géostratégique 2023. Affirmation autocratique », Juillet-Septembre 2023.

À propos de l'auteur

Marion Breteau

Anthropologue à l’American University of Kuwait, chercheure associée au Centre français de recherche de la péninsule Arabique (CEFREPA ; Koweït)

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