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La Géorgie tiraillée entre son envie d’Europe, la peur de la guerre et la haine de la Russie

La crise que traverse actuellement la Géorgie illustre aujourd’hui à quel point ses liens avec la Russie sont un sujet de tensions qui est au cœur des débats. Une série d’entretiens menés en décembre dernier sur le terrain en Géorgie, nous ont permis d’affirmer que c’est un sujet qui mobilise et déchire la population, mais également l’un des principaux éléments qui fracture la classe politique géorgienne, alors que des élections législatives sont attendues en octobre prochain.

Mardi 14 mai 2024, le parlement géorgien adoptait une loi controversée sur « l’influence étrangère  ». Cette loi prévoit de contraindre les ONG et les médias recevant plus de 20 % de leur financement de l’étranger, à s’enregistrer comme « organisation promouvant les intérêts d’une puissance étrangère » et de ce fait payer de lourdes amendes. Cette loi, dite « loi Poutine », inspirée d’une loi russe de 2012 et qui s’apparente sérieusement à de la censure, a été fortement condamnée par l’Union européenne (UE), l’OTAN et la population géorgienne. Des dizaines de milliers de manifestants géorgiens sont descendus dans les rues de Tbilissi en scandant « non à la dictature russe ». La présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, s’est publiquement positionnée du côté de l’opposition à la loi sur « l’influence étrangère » et a tenté d’apposer son véto pour en bloquer l’adoption. Elle a accusé la loi de mettre en danger l’avenir de la nation, de la démocratie, et le processus d’intégration à l’UE. Le 26 mai 2024 — jour de la fête nationale et de l’indépendance en Géorgie —, le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, favorable à la loi, et la présidente géorgienne, se sont mutuellement accusés de trahison. Deux jours après, le 28 mai 2024, le véto présidentiel a été balayé par un vote au Parlement qui s’est tenu et a approuvé la loi par 84 voix contre quatre. Suite à l’adoption définitive de la loi, les manifestations dans les rues de Tbilissi ont redoublé d’intensité. Des milliers de manifestants se sont réunis aux abords du Parlement et certains ont crié « Russes ! » et « Esclaves ! » aux députés qui sortaient du bâtiment. Près de 200 ONG géorgiennes ont annoncé qu’elles n’obéiraient pas aux exigences de la loi. 

Le poids de l’Histoire entre la Russie et la Géorgie

Alors que, depuis le milieu du XVe siècle, la Géorgie se débattait contre la domination ottomane, puis perse, le pays a été officiellement annexé par la Russie des Tsars en 1801. Le pays est resté sous la domination du régime tsariste jusqu’en 1917, au moment de la révolution bolchevique en Russie. Les Géorgiens avaient alors profité du renversement du régime tsariste par les Bolcheviques pour déclarer leur indépendance. Celle-ci ne dura finalement que jusqu’en 1921, puisque la Géorgie a de nouveau été annexée, mais cette fois, par le régime soviétique. Elle est alors restée sous domination soviétique jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991.

Le 9 avril 1991, la Géorgie a déclaré son indépendance. Depuis, le pays est de jure un État indépendant et souverain. Néanmoins, de facto, depuis 2008 des troupes russes occupent 20 % du territoire géorgien. En effet, en 2008, la Russie est intervenue sur le territoire géorgien sous prétexte de soutenir les séparatistes des régions d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Depuis, les forces russes stationnent dans ces deux régions du Nord de la Géorgie et les ingérences russes se multiplient. 

Historiquement, la Géorgie a ainsi toujours oscillé entre de courtes périodes d’indépendance et de longues périodes de soumission au grand voisin russe. Ce passé explique pourquoi le positionnement de la Géorgie vis-à-vis de la Russie est au cœur des préoccupations du pays. À travers une série d’entretiens menés à Tbilissi avec des dirigeants au pouvoir et des membres de l’opposition, nous avons même constaté que c’est principalement autour de ce sujet que se dessine la fracture entre le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, et les partis d’opposition. Si le parti au pouvoir est un parti bien plus conservateur que l’opposition, qui est plus progressiste et qui porte davantage les valeurs européennes et occidentales, la fracture politique s’articule néanmoins principalement autour du positionnement des partis vis-à-vis de la Russie.

Le Rêve géorgien, un parti pro-russe ?

D’un côté, il y a le Rêve géorgien — parti au pouvoir depuis 2012. Le positionnement du Rêve géorgien vis-à-vis de la Russie consiste à dire qu’il faut être prudent et ne pas provoquer la Russie pour éviter la guerre. Ils accusent volontiers l’ex-président Mikheil Saakachvili d’avoir été trop « provocateur  » vis-à-vis de la Russie et d’être, d’une certaine manière, coupable de la guerre de 2008. En ce sens, George Volski, vice-président du parlement géorgien et un des leaders du Rêve géorgien, déclarait que « Saakachvili n’a pas accordé d’attention aux problèmes de sécurité » (1). À ce sujet, David Songulashvili, président de la Commission économique, rappelait que « la force principale d’un leader est de parvenir à éviter les problèmes… Pas de déclencher une guerre contre la Russie » (2).

À propos de l'auteur

Marie Durrieu

Doctorante en relations internationales associée à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), rattachée à l’Université de Clermont Auvergne et enseignante à Sciences Po Paris.

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