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La Géorgie tiraillée entre son envie d’Europe, la peur de la guerre et la haine de la Russie

Le parti au pouvoir entretient un discours qui consiste à dire que la Géorgie est un petit pays sans allié. Les différents membres du Rêve géorgien insistent sur cet aspect en utilisant fréquemment les expressions : « Nous sommes un pays faible », « Nous sommes trop petits géographiquement », « Nous n’avons pas d’allié », « Personne ne s’intéresse à la Géorgie ». Ils font régulièrement référence à la guerre de 2008 pour laquelle ils estiment que personne n’est venu les aider. À ce moment-là, contrairement aux Ukrainiens en 2022, les Géorgiens n’avaient effectivement pas reçu de soutien pour repousser les Russes et la communauté internationale n’avait que doucement condamné l’invasion russe. En 2009, l’administration Obama avait même mis en place la « reset policy », qui avait pour ambition de reprendre à zéro et d’améliorer la relation des États-Unis avec la Russie. Or, la non-réaction à la guerre de 2008 est devenue un élément de poids dans le discours du Rêve géorgien. Dans cette perspective, Katia Tsilomani, presidente de la Commission environnementale au parlement géorgien, rappelle que « l’Europe était occupée, nous n’étions pas une priorité. Nous avons été vaincus en cinq jours  » (3). David Songulashvili, lui, s’est exclamé : « Personne ne s’est préoccupé du fait que 20 % de notre territoire était occupé » (4). Aujourd’hui, les membres du Rêve Géorgien renforcent leur discours en disant que « même » l’Ukraine, qui est plus forte et qui a du soutien international, ne parvient pas à défaire la Russie : ils en concluent que la Géorgie a donc perdu d’avance et doit agir en ayant conscience de sa faiblesse.

En ce sens, George Volski déclare qu’on « ne peut pas se permettre une politique provocative, car nous n’avons pas les ressources pour être agressifs. Compte tenu des circonstances, nous pouvons seulement nous permettre une politique intelligente » (5). Or, selon les membres du Rêve géorgien, « être prudent » vis-à-vis de la Russie signifie faire le dos rond et obéir aux demandes du Kremlin — comme faire passer des lois qui font le jeu de la Russie, éloignent la Géorgie de l’Europe, et soumettent de plus en plus Tbilissi. En suivant cette logique, ils ont estimé que la Géorgie ne pouvait pas se permettre d’adopter les sanctions contre la Russie pour la guerre en Ukraine. Ils ont considéré qu’économiquement, la Géorgie, qui est très dépendante de la Russie, ne s’en sortirait pas, et que la Russie risquerait d’interpréter les sanctions comme une provocation. 

L’opposition en résistance face à l’influence russe

Le principal parti d’opposition du pays, l’United National Movement (l’UNM), a été fondé par l’ancien président Mikheil Saakachvili en 2001. De leur point de vue, le positionnement du Rêve géorgien vis-à-vis de la Russie s’apparente au régime de Vichy — qui avait choisi de ne pas résister à l’envahisseur et de s’y complaire. La comparaison nous a été formulée par plusieurs membres de l’opposition. Ces derniers surnomment le parti au pouvoir le « Russian dream » [Rêve russe] et estiment que son discours n’est que de la propagande pour légitimer une politique pro-russe. En ce sens, Thornike Gordadze, ancien ministre géorgien, a déclaré que le Rêve géorgien n’est « pas ouvertement pro-russe, mais ils construisent leur propagande en disant qu’ils sont plus habiles et qu’ils arrivent mieux à garantir la paix ». Selon l’opposition, affirmer que la souveraineté géorgienne est « provocatrice » pour la Russie est une aberration instrumentalisée par le Rêve géorgien. Dans cette perspective, David Darchiachvili, ancien député de l’UNM, s’est exclamé : « Cette idée que Saakachvili a déclenché la guerre n’est qu’un récit ! C’est de la propagande russe ! » (6).

L’opposition estime que le parti au pouvoir fait volontairement le jeu de la Russie, surtout pour des intérêts économiques personnels. Rappelons que Bidzina Ivanichvili, fondateur du Rêve géorgien et ancien Premier ministre, est avant tout un homme d’affaires milliardaire qui a fait fortune en Russie, notamment au moment de l’effondrement de l’URSS. De manière générale, dans les rangs du Rêve géorgien, on retrouve de nombreux oligarques et hommes d’affaires qui perdraient beaucoup à « rompre » avec Moscou. 

Les partis de l’opposition condamnent ainsi fortement la position du Rêve géorgien vis-à-vis du Kremlin — qu’ils estiment être de la collaboration — et défendent l’idée que la Géorgie doit résister. Ils considèrent que, quel qu’en soit le prix, la Géorgie doit se défendre, résister à l’impérialisme russe et affirmer sa souveraineté comme l’a fait Saakachvili, et comme le fait Zelensky pour l’Ukraine. Ainsi, pour Georgi Kandelaki, ancien député de l’UNM, « le droit international nous donne le droit de nous défendre. Nous ne pouvons pas nous soumettre, nous devons résister. » (7) David Darchiachvili, lui, a déclaré : « Nous devons démontrer, par tous les moyens, que l’impérialisme est terminé » (8).

L’UE et l’OTAN comme vecteurs d’émancipation du géant russe

Dans cette perspective, l’opposition soutient activement l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne et à l’OTAN. Ils estiment que rejoindre l’UE et l’OTAN permettrait de rééquilibrer le rapport de force entre la Géorgie et la Russie, et donnerait les moyens à Tbilissi de vraiment s’émanciper de Moscou. Ils considèrent d’ailleurs que le sommet de Bucarest de 2008, pendant lequel l’Organisation n’a pas concédé le statut de candidat à la Géorgie, a été un feu vert à la Russie pour intervenir sur le territoire géorgien quelques mois plus tard. 

À propos de l'auteur

Marie Durrieu

Doctorante en relations internationales associée à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), rattachée à l’Université de Clermont Auvergne et enseignante à Sciences Po Paris.

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