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La Géorgie tiraillée entre son envie d’Europe, la peur de la guerre et la haine de la Russie

De son côté, la population géorgienne est majoritairement pro-européenne et exprime clairement son souhait d’adhérer aux institutions euro-atlantiques. Les drapeaux européens sont brandis dans toutes les manifestations et des graffitis pro-européens tapissent les rues de Tbilissi. Le peuple géorgien estime que rejoindre l’OTAN et l’UE leur donnera des garanties de sécurité. De plus, pour eux, ce serait également un moyen d’aller vers plus de démocratie, plus de liberté et plus de progrès. C’est une idée particulièrement prégnante notamment chez les jeunes Géorgiens, qui rêvent d’Europe, de liberté et d’opportunités.

En parallèle, une haine de la Russie se fait clairement ressentir en Géorgie. En ce sens, David Darchiachvili nous a déclaré que « le sentiment que la Russie humilie la Géorgie est un sentiment national profond en Géorgie. C’est le seul sentiment qui unit les Géorgiens. » (9) La population en veut à la Russie de les soumettre, de ne pas reconnaitre leur indépendance, et surtout de ne pas les laisser se démocratiser, se développer économiquement et progresser… Il y a cette idée que la Russie bloque le développement et la démocratisation de la Géorgie parce qu’elle craint que les idées démocratiques et les valeurs libérales n’arrivent en Russie. Et à ce propos, les Géorgiens expriment beaucoup de colère parce qu’ils estiment que le Kremlin leur « pourrit la vie », juste pour qu’il n’y ait pas de démocratie heureuse aux portes de la Russie. 

Cette haine de la Russie, et ce profond sentiment pro-européen de la population vont clairement dans le sens du positionnement porté par les partis d’opposition. Ces derniers s’appuient d’ailleurs fortement sur ces éléments pour persuader la population que le Rêve géorgien n’œuvre pas pour le bien de la Géorgie. Ainsi, dans la perspective des élections législatives qui se tiendront fin octobre 2024, l’UNM et les autres partis d’opposition misent sur le fait de faire prendre conscience aux Géorgiens que le parti au pouvoir ne soutient l’adhésion européenne qu’en surface, alors qu’en réalité ils sabotent le processus. 

La guerre : une épée de Damoclès ?

Toutefois, il existe à l’inverse un sentiment très fort au sein de la population géorgienne qui joue en faveur du Rêve géorgien : la peur de la guerre. La population géorgienne est profondément traumatisée par la guerre de 2008, durant laquelle la Russie a écrasé la Géorgie en seulement cinq jours sans qu’aucun autre État ne leur vienne en aide. Le souvenir de l’intervention russe, qui s’est arrêtée très près de la capitale, est profondément ancré dans les esprits — même chez les jeunes, profondément pro-européens et antirusses. Plusieurs jeunes originaires de Gori racontent notamment qu’ils se souviennent des bombes qui tombaient sur leur ville et du jour où ils ont dû partir de chez eux. De plus, la population géorgienne est particulièrement consciente du fait que des troupes russes stationnent encore sur 20 % du territoire et à seulement quelques kilomètres de Tbilissi. Ils le répètent constamment et l’inscrivent même sur certains tickets de caisse distribués dans des restaurants en Géorgie. 

Or, cette peur de la guerre joue nettement en faveur du Rêve géorgien. Le parti se présente comme le parti qui garantira la paix, et c’est un argument assez efficace. Même pour les Géorgiens qui souhaitent plus que tout s’émanciper de la Russie et aller vers l’Europe, le prix de la guerre est un prix auquel ils ont du mal à se résoudre. Le Rêve géorgien l’a compris et continue donc de miser sur cette peur, tout en prétendant aller vers la liberté et l’Europe, alors qu’en réalité ils se dirigent progressivement de plus en plus vers la soumission et la Russie. 

Notes

(1) Version originelle : « Saakashvili didn’t address security concerns », George Volski.

(2) Version originelle : « The main strength of a leader is to avoid problems… and not to trigger a war against Russia », David Songulashvili.

(3) Version originelle : « Europe was busy with its own business, we weren’t a priority. We were defeated in 5 days  », Kathia Tsilomani.

(4) Version originelle : « Nobody payed attention to the occupation of 20 % of our territory », David Songulashvili.

(5) Version originelle : « We can’t afford an irritation policy, we don’t have the resources to be agressive. Taking into account the circumstances, we can only afford a clever policy », George Volski.

(6) Version originelle : « This idea that Saakashvili started the war is only a narrative ! It’s Russian propaganda ! », David Darchiachvili.

(7) Version originelle : « According to international law, we have the right to defend ourselves. We can’t surrender, we have to resist  », Georgi Kandelaki.

(8) Version originelle : « We should demonstrate, by all means, that imperialism is over ! », David Darchiachvili.

(9) Version originelle : « There is a deep national feeling that Russia humiliates Georgia. It’s the only feeling that unites Georgians. », David Darchiachvili.

Légende de la photo en première page : Le 16 mai 2024, des manifestants passent devant des graffitis représentant les drapeaux de l’Union européenne (UE) et de la Géorgie, et la mention « Nous sommes l’Europe », dans le cadre des manifestations pro-européennes et pour le retrait d’un projet de loi sur « l’influence étrangère ». Cette loi, jugée liberticide et qui pourrait mettre en péril l’adhésion du pays à l’UE, a provoqué un vaste mouvement de contestation dans le pays. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Diplomatie n°128, « La poudrière caucasienne : Géorgie, Azebaïdjan, Arménie », Juillet-Août 2024.
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