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De la compétition à la guerre des drones : un instrument de diplomatie technologique

En raison de multiples facteurs d’accessibilité, de facilité d’emploi et du renforcement de leur dualité, l’utilisation des drones est aujourd’hui devenue un marqueur des conflits contemporains, tant à la main d’États que de groupes armés non étatiques. Face à la multiplication des nouveaux acteurs, ce contexte représente un puissant accélérateur et un point de rupture dans les conflictualités, qui interroge inévitablement sur l’évolution de l’emploi des drones.

En juin 1999, Patrick Brunet, journaliste français d’une revue aéronautique de référence, Air & Cosmos, écrivait : « Il est bien fini le temps où les drones étaient considérés comme de simples jouets radiocommandés. En moins de dix ans, ces véhicules sont passés du rang de systèmes expérimentaux à celui d’auxiliaires indispensables à la conduite des opérations. (…) Les besoins des utilisateurs s’affinent tandis que les systèmes évoluent pour suivre le marché. » (1) Trois décennies plus tard, la tendance s’est inversée, passant d’une industrie balbutiante à une prolifération sans limite. Dans ce contexte très spécifique, la technologie des drones génère une compétition tous azimuts et, proportionnellement, une utilisation aussi forte. Elle est considérée par extension comme un instrument de puissance et d’influence. Les exemples abondent en ce sens.

En mai dernier, au sortir d’une réunion entre les ministres de l’Intérieur des trois pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), la Norvège, la Finlande, et la Pologne (2) ont émis le projet d’avoir recours à des drones en complément de technologies fixes pour assurer la surveillance et la protection des frontières face à la menace russe ; cette intention est nommée « muraille de drones ». Deuxième exemple, le drone Bayraktar TB2, symbole de réussite industrielle et militaire de la Turquie, a été glorifié par l’armée ukrainienne au point qu’une chanson a été écrite et diffusée en son honneur sur les réseaux. Un troisième exemple : les Gardiens de la Révolution iraniens avaient révélé en mai 2021, peu de temps après l’entrée en vigueur d’une trêve entre Israël et des groupes armés palestiniens, un nouveau drone de combat nommé « Gaza », en soutien aux Palestiniens (3). Lors du dernier salon de l’armement de Doha, au Qatar (mars 2024), l’actualité a de nouveau mis en avant cet appareil, qui vient souligner les caractéristiques précédemment décrites où se mêlent technologie, puissance et diplomatie. Au regard des relations entre les deux pays en guerre ouverte, ce type d’appareil pourrait attiser les fortes tensions existantes.

Sommes-nous dans l’ère des drones ? 

Ces engins inhabités sont sur tous les fronts — aérien, terrestre, ou naval. Leur disponibilité opérationnelle et leur généralisation les place au cœur des combats, de manière non exhaustive de l’Ukraine à Gaza, de la mer Rouge à la mer de Chine méridionale. Un rapport du Sénat en 2021 (4) identifiait d’ailleurs précisément cette montée en puissance des engins inhabités, aussi bien d’un point de vue capacitaire qu’en termes de menaces. Nous sommes entrés dans la « deuxième ère des drones » (5), qui supprime la temporalité et les frontières tout en réunissant en son sein une multitude d’acteurs (pays pairs, terroristes, acteurs non étatiques). Les drones semblent changer les contours de la guerre et symbolisent un retour des conflits « de haute intensité » face à de nombreux systèmes d’armes sur des théâtres d’opérations devenus de plus en plus contestés. Leurs utilisateurs rivalisent d’ingéniosité et prolifèrent (multiplication de charges utiles — capteurs, nacelle, télémètre —, recours à des smartphones pour les diriger, structure du drone — à base de carton ou autres composants jetables —, biomimétisme, etc.) et viennent ajouter quelques couches supplémentaires au « brouillard de la guerre » cher à Clausewitz. Pour exemple, les drones FPV (First Person View) qui, grâce à une caméra embarquée et à un système de transmission vidéo en direct (vers un casque ou des lunettes spéciales portées par le pilote), permettent d’être en immersion totale. Ce système offre au pilote une vision en temps réel de l’image vue par le drone. L’État islamique a utilisé ce type d’engins achetés dans le commerce en l’augmentant d’obus de mortier et de grenades. Les drones ont tendance à évoluer vers une hybridité capacitaire (6).

S’ajoute un deuxième élément : la généralisation d’un champ de bataille numérisé et de l’intégration progressive d’appareils dotés d’intelligence artificielle (IA). L’actualité montre une forte évolution en ce sens et des ambitions dans la conduite des combats en favorisant la création d’un environnement informationnel. Les drones ne font pas exception à cette structuration que l’IA vient renforcer plus encore. Les essaims de drones en sont un parfait exemple. En mai 2021, l’armée israélienne a eu recours à des essaims de drones de petite taille équipés d’IA pour la détection de lance-roquettes et se sont avérés être une aide à l’exploitation du renseignement par d’autres effecteurs. Ce maillage numérisé et numérique ouvre une connaissance étendue du champ de bataille et de ce fait couvre un champ informationnel élargi. Il en est de même pour les forces armées de l’Ukraine qui font preuve d’un usage inédit et multiforme de l’IA (planification d’attaques, exécution de ces plans à l’aide de drones, identification de criminels de guerre, ou encore lutte contre la désinformation). Le secteur civil n’est pas en reste : fin aout 2023, un drone équipé d’IA a dépassé pour la première fois des champions de course de drones.

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