Malraux écrivait que « le monde aurait pu être simple comme le ciel et la mer ». Mais la mer n’est pas qu’une vaste étendue dont la tranquillité n’est dérangée qu’au gré des humeurs changeantes du vent. Force est de constater qu’elle n’a également cessé de devenir un espace dans lequel se manifeste toute la complexité du monde. Dans ce contexte, l’économie bleue française, par son dynamisme et son importance stratégique, constitue un élément central de la puissance et de la résilience nationale, faisant de la France une nation maritime de premier plan.
Depuis l’Antiquité, où la Méditerranée représentait un enjeu stratégique pour l’Empire romain, jusqu’au Moyen Âge, où les navires vénitiens témoignaient de la puissance économique de la cité des Doges, la mer a toujours été au cœur des échanges mondiaux. Mais au XXe siècle, le commerce maritime est entré dans une nouvelle ère. En particulier depuis les années 1970, le transport de marchandises par voie maritime a connu un essor sans précédent. La mondialisation découle en effet d’une maritimisation croissante des échanges [voir p. 16]. Chaque année dans le monde, ce sont aujourd’hui environ 9 marchandises sur 10 qui transitent par voie maritime à bord de porte-conteneurs.
Des paquets de riz aux smartphones, en passant par le carburant, une immense partie des produits que nous consommons partent et arrivent d’un port. Au total, le transport maritime mondial représente un marché de près de 2 000 milliards d’euros. Mais au-delà, ce sont aussi les océans qui rendent possible la quasi-totalité de nos communications par l’intermédiaire de câbles sous-marins et qui nous fournissent en ressources fossiles et halieutiques, entre autres [voir p. 20].
Aujourd’hui, l’économie bleue est la colonne vertébrale de l’économie mondiale. Elle englobe tous les secteurs liés aux océans, aux mers et aux littoraux, qu’ils relèvent directement du milieu marin, comme le transport maritime, la fourniture de produits de la mer, ou du milieu terrestre, tels que les ports, les chantiers navals ou les infrastructures côtières. Toutefois, elle se trouve confrontée à des défis de taille. À l’échelle nationale, la France doit impérativement se mobiliser, car l’avenir de son économie maritime, et par extension de l’économie nationale, en dépend.
Entre tensions géopolitiques et nouveaux enjeux sécuritaires et environnementaux
L’instabilité géopolitique et la multiplication des conflits de toute nature constituent pour l’économie maritime une première difficulté notable [voir p. 27]. L’essor du commerce maritime s’inscrit dans la dynamique d’interconnexion croissante des échanges. Or, dans une économie mondialisée, les répercussions économiques des guerres et des conflits sont démultipliées. Certaines tensions géopolitiques ont tout particulièrement révélé la vulnérabilité des principales routes maritimes mondiales. Depuis fin 2023, les attaques perpétrées par les rebelles houthistes du Yémen, près du détroit de Bab el-Mandeb, conduisent plusieurs grandes compagnies du transport maritime à suspendre le passage de leurs navires dans la région, une décision non sans conséquences [voir p. 42].
En effet, la mer Rouge voit transiter 12 % du commerce maritime mondial de marchandises et joue un rôle crucial dans les échanges entre l’Asie et l’Europe. Renoncer à y passer et opter pour le cap de Bonne-Espérance conduit par exemple un navire voulant rallier Rotterdam depuis Shanghai à allonger sa durée de navigation de 14 jours. Or, l’allongement des routes empruntées contribue à l’augmentation de la consommation de carburant, perturbe les chaines d’approvisionnement et engendre des surcouts, surtout pour les compagnies maritimes et dans une moindre mesure pour les consommateurs.
Enjeu ancien, la piraterie affecte l’économie bleue. Dans sa conception moderne, elle cible indifféremment les navires de commerce, de pêche ou de plaisance et aggrave de surcroit l’insécurité de certaines routes maritimes. Plusieurs régions sont particulièrement touchées, parmi lesquelles le golfe de Guinée, devenu l’épicentre de l’insécurité maritime avec un tiers des actes de piraterie mondiaux, et l’Asie du Sud-Est, où les menaces d’enlèvement par des groupes criminels restent préoccupantes. Or, la piraterie en haute mer entraine des pertes financières annuelles de plusieurs milliards de dollars. Ce phénomène risque de s’intensifier, entrainant une hausse des primes d’assurance maritime et, par conséquent, une augmentation des couts de transport. Ainsi, l’un des premiers défis pour l’économie maritime est de rétablir la sécurité et la stabilité nécessaires à la prospérité des échanges.
Mais il existe aussi d’autres tensions en mer, moins visibles, mais tout aussi importantes, qui renferment des enjeux de souveraineté économique importants : la gestion et le contrôle des câbles sous-marins. Ils s’étendent sur 1 200 000 kilomètres, soit 32 fois le tour de la Terre. Les géants technologiques, tels que les GAFAM ou leurs homologues chinois tel Huawei, accroissent leur influence sur ces infrastructures vitales, soulevant des questions cruciales concernant la neutralité du net et la sécurité des communications internationales.