Rapportée à notre modèle triangulaire, la situation britannique envoie à Paris un avertissement. Il pourrait être exprimé de la manière suivante : renoncer à choisir, c’est, à terme, choisir de renoncer. Si la France veut conserver sa crédibilité dans un monde agité et qui réarme – ceci dans un contexte de crise économique, culturelle et politique propice à toutes les déstabilisations –, il peut donc paraître nécessaire de rééquilibrer le rapport de proportion entre ces trois variables, ou tout au moins de ne pas le laisser trop dériver. Il semble qu’il n’existe que deux manières d’y parvenir.
La première est d’abaisser le niveau des ambitions européennes et internationales de la France, d’assumer un déclassement déjà reflété par des moyens essoufflés, et d’appliquer le théorème de Morley au « triangle stratégique » en le ramenant à une équilatéralité de troisième division. Le rapport D‑O‑M se rééquilibre dès lors dans la médiocrité. L’Espagne a connu un tel moment après 1898.
La deuxième est de maintenir un niveau d’ambition reflétant l’histoire et les intérêts du peuple français, qui résultent du sacrifice de nombreuses générations. En période de crise, ce choix oblige à des ajustements volontaristes immédiats. Le premier est l’augmentation significative d’un effort de défense priorisant une réelle autonomie stratégique, qui écarte la solution de facilité consistant à s’en remettre au seul levier multiplicateur européen ou otanien. Les alliances sont nécessaires, à condition que chacun des alliés consente un effort suffisant pour lui – même, sans quoi tous finissent par découvrir les lois gouvernant la multiplication par zéro. Sur le plan déclaratoire, l’ajustement doit être parallèle : maintenir une ambition ne signifie pas conserver ses illusions, ce qui implique de divorcer des incantations propres à un certain néo – idéalisme belliqueux, pour adopter un réalisme ferme et prudentiel, qui agisse davantage et parle moins. Le 16 juillet 2024, annonçant une remise à plat inédite de la politique de défense nationale, le nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer est allé au cœur du sujet : « L’une des premières mesures que je prends depuis mon entrée en fonction est de lancer notre examen stratégique de défense […] Je promets au peuple britannique que je procéderai aux changements nécessaires pour faire aller le pays de l’avant. Et je lui promets des actions plutôt que des mots. »
Notes
(1) House of Commons, Committee of Public Accounts, « MoD Equipment Plan 2023 – 2033, Nineteenth Report of Session 2023 – 24 » (https://committees.parliament.uk/committee/127/public-accounts-committee/news/200289/uk-defence-no-credible-government-plan-to-deliver-desired-military-capabilities).
Légende de la photo en première page : Un Rafale durant « Arctic Defender 24 », le 8 juillet 2024. Le déclaratoire finit toujours par être confronté à l’opérationnel. (© DoD)