…et désillusions
D’une part, le régime de transition multipliait les prises de contact à l’étranger pour faire rentrer activistes et blogueurs, opposants et anciens rebelles. Le point d’orgue de cette politique de réconciliation était sans doute la réunion organisée à Doha au printemps 2022 qui était censée réunir les organisations politico-militaires qui avaient fait le coup de feu contre le régime à un moment ou à un autre depuis vingt ans. L’accord conclu en aout 2022 permettait de lancer un Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) doté d’un agenda ambitieux et d’une liberté de ton qui surprit au Tchad. L’atmosphère était donc à la décompression autoritaire.
D’autre part, les mêmes événements suscitaient des réserves, des critiques et finalement des oppositions. La réunion de Doha réunissait bien plus que les dirigeants de groupes armés qui s’étaient souvent divisés avec le temps et dont le nombre réel de combattants était sujet à caution. Si un accord pour faire rentrer le plus d’opposants était considéré comme très positif, de sérieuses inquiétudes se manifestaient sur l’absence d’épaisseur politique de l’accord de Doha qui se résumait à un projet de DDR [désarmement, démobilisation et réinsertion] dont le financement n’était pas acquis. Rien n’était dit sur la résolution des problèmes qui avaient suscité ces rebellions, ni sur les réformes nécessaires pour éviter de nouvelles dissidences armées.
Le DNIS évoquait des problèmes concrets qui avaient un écho dans la population mais l’exercice apparaissait sous contrôle et souvent purement rhétorique. Les multiples recommandations posaient le problème de leur mise en œuvre, ce qui fut fait de manière biaisée et très sélective. De plus, le DNIS levait opportunément l’obligation faite à Mahamat Kaka de ne pas se présenter à la future élection présidentielle — une condition imposée par l’Union africaine et appuyée par la France et les États-Unis en mal de justifier leur soutien aux militaires tchadiens après avoir vitupéré contre les juntes sahéliennes. D’autres aspects suscitaient une inquiétude croissante, tant la multiplication des nominations civiles et militaires faisait peu de cas des tensions budgétaires et de la baisse de qualité des services publics, notamment l’accès à l’eau, à l’électricité et au carburant.
La répression des manifestations du 20 octobre 2022, par le nombre de tués, de disparus et d’emprisonnés, ne pouvait que marquer les consciences et indiquait qu’une phase de la transition était bel et bien achevée (4). Ses organisateurs, les dirigeants du mouvement Wakit Tama, et Succès Masra, le leader du parti des Transformateurs, avaient manifesté à de multiples occasions leurs réserves sur le DNIS et sur des choix de la présidence qui consolidaient la continuité avec le régime précédent au lieu de l’ouverture annoncée. Les manifestations du 20 octobre ne pouvaient être, comme le prétendaient le président et son Premier ministre, une tentative de coup d’État (on n’attaque pas une armée bien entrainée et équipée avec des bâtons et des machettes), mais il est indubitable que dans de nombreux endroits les locaux du parti du Premier ministre, Saleh Kebzabo, furent attaqués et pillés : faute de s’attaquer au cœur du pouvoir, on réglait des comptes avec ses alliés. La brutalité de la répression était telle qu’elle obligeait à promettre une enquête internationale.
Ce durcissement était confirmé lors de la préparation du référendum constitutionnel et par l’annonce des résultats. Alors que les débats avaient été pluriels sur cette question, le gouvernement fit le choix de ne pas proposer à un référendum deux textes différents portant sur les modalités d’un État centralisé ou fédéral mais un seul, contrairement aux recommandations du DNIS. Surtout, les résultats du référendum correspondaient de très loin à ce que la population avait observé : une participation moindre. En publiant des chiffres à l’opposé de ce vécu, le régime de transition prenait deux risques : rappeler que les élections au Tchad avaient toujours été singulièrement rectifiées et que le vieux système restait omniprésent même si des faces plus jeunes apparaissaient dans les médias.