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Un Moyen-Orient entre guerres et recomposition

Dans un Moyen-Orient chaotique, la date du 7 octobre 2023 marque un tournant majeur qui peut conduire à un embrasement de toute la zone. La guerre à Gaza intervient dans une situation déjà en pleine évolution caractérisée par l’affirmation de l’autonomie stratégique de plusieurs puissances régionales de même que par un basculement géopolitique au profit de la Russie et de la Chine.

Dix mois après l’attaque terroriste du 7 octobre, la « guerre totale » déclarée par Benyamin Netanyahou présente un bilan provisoire des plus inquiétant.

Le bilan humain et matériel est particulièrement lourd : du côté israélien, aux 1 200 victimes de l’attaque initiale s’ajoute la mort de 39 otages et de 689 combattants de Tsahal. Du côté palestinien, on compte, selon le Hamas, près de 40 000 morts à Gaza, en majorité des civils, les chiffres exacts faisant l’objet d’une controverse notamment sur le nombre de femmes et d’enfants. Par ailleurs, les bombardements massifs menés par Tsahal auraient déjà détruit près des deux tiers des logements et l’essentiel des infrastructures, qu’il s’agisse du réseau d’eau potable, des hôpitaux ou des établissements scolaires. Or, aucune solution politique ou militaire n’est en vue. Bien au contraire, cette guerre révèle la gravité du clivage à l’intérieur de la société israélienne, la menace croissante qui pèse sur sa sécurité et la mort de la solution à deux États.

Un profond clivage au sein de la société israélienne

Une fracture préexistait déjà, de plus en plus marquée entre une population libérale et laïque et le mouvement nationaliste messianique d’inspiration religieuse au pouvoir depuis décembre 2022. Un débat sur l’avenir de la démocratie en Israël s’était instauré violemment, ponctué par des manifestations de grande ampleur.

Ce clivage existe toujours et s’est amplifié avec une forte contestation de la politique menée par Netanyahou sur la conduite de la guerre et sur la gestion des otages. Si l’unanimité existe pour combattre le terrorisme et éradiquer le Hamas, la façon dont la guerre est menée provoque un profond malaise au sein même de l’armée qui est en conflit ouvert avec le Premier ministre [voir p. 45]. L’armée, consciente de la lassitude des troupes en action depuis plus de dix mois, en particulier des réservistes, est favorable à un cessez-le-feu et réticente à l’idée d’une extension immédiate du champ de la guerre, notamment contre le Hezbollah. De son côté, Netanyahou, toujours appuyé par l’extrême droite religieuse, joue la pérennisation de la guerre pour conserver le pouvoir alors que plus des deux tiers de la population souhaitent son départ. Ainsi, une crise politique grave touche le pays dans le contexte du traumatisme né de l’attaque terroriste du 7 octobre et du sentiment que la menace contre la sécurité d’Israël s’est amplifiée. Ce sentiment arrive à un moment où Tsahal se voit reprocher ses défaillances en matière de renseignements comme dans le délai de réaction à l’attaque du 7 octobre. De même « l’armée la plus morale du monde » est mise en cause par certaines ONG israéliennes, comme B’Tselem, qui dénoncent la pratique des bombardements aveugles et de la torture dans les prisons.

Sur le plan international, la brutalité de l’offensive israélienne sur Gaza est critiquée même par les pays amis les plus proches. La pratique croissante des assassinats ciblés est de plus en plus contestée, tant au regard du droit international qu’en raison des dommages collatéraux dont ils s’accompagnent. Les accusations de carnage, de crime de guerre voire de risque de génocide qui se multiplient tant au niveau des opinions que de certaines instances internationales accroissent l’isolement d’Israël.

Un sentiment croissant d’insécurité

En 2023, Israël avait la fausse impression de vivre en sécurité : les États voisins ne représentaient plus une vraie menace car un traité de paix avait été conclu avec l’Égypte et la Jordanie, la Syrie se gardait de toute initiative hostile et le Hezbollah, après la guerre des 33 jours de 2006, ne montrait qu’une activité réduite par-delà ses menaces verbales. Depuis la fin de la deuxième Intifada, le terrorisme palestinien, exercé notamment par le Hamas, n’était qu’épisodique et semblait sous contrôle quitte à « tondre le gazon » régulièrement dans la bande de Gaza. Un processus de normalisation avec un certain nombre d’États arabes était en cours à travers les accords d’Abraham. Le 7 octobre constitue un réveil brutal qui pose en termes nouveaux le problème de la sécurité d’Israël. Certes, la « menace existentielle » représentée par l’Iran est évoquée régulièrement depuis les années 1990, mais il s’agit plus d’un slogan utilisé à des fins de politique intérieure que d’un enjeu immédiat.

À propos de l'auteur

Denis Bauchard

Conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI), ancien ambassadeur en Jordanie (1989-1993) et au Canada (1998-2001), directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères (1993-1996) et président de l’Institut du monde arabe (2002-2004). Auteur de Le Moyen Orient au défi du chaos (Hémisphères éditions, 2021).

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