L’espace a longtemps été considéré comme un espace de coopération, au pire de compétition. La confrontation n’a jamais été totalement exclue, mais était perçue comme improbable, alors qu’elle est aujourd’hui plus crédible ; votre récent ouvrage le démontre bien. Comment la France est-elle placée ?
Depuis la publication de la stratégie spatiale de défense en 2019, la France considère que l’action dans l’espace, c’est-à‑dire la conduite d’opérations par des atouts spatiaux contre d’autres atouts en orbite, est la quatrième fonction des opérations spatiales militaires. Les trois précédentes étant, par ordre de développement historique, l’accès à l’espace, l’appui aux opérations et la connaissance de la situation spatiale. La crédibilité d’une confrontation dans l’espace est donc envisagée sans « naïveté » (1). Sur le plan capacitaire, cela se traduit dans la Loi de programmation militaire 2019-2025 par des programmes de démonstrateurs technologiques, comme le satellite YODA. L’objectif affiché est un renforcement des capacités de « défense active » des satellites pour la décennie 2030.
Pour autant, la France ne souhaite pas être un agent déstabilisateur dans les relations spatiales internationales. Florence Parly, alors ministre des Armées, déclarait le 25 janvier 2022 lors de la 14e Conférence spatiale de l’Union européenne que la France et l’Europe étaient « fermement opposées aux “saccageurs de l’espace” » et renouvelait l’attachement du pays à une « utilisation pacifique et responsable de l’espace, dans le respect du droit international (2) ». À ce titre, la Loi relative aux opérations spatiales (LOS) de 2008 (3) va effectivement dans le sens du droit spatial international. Le projet de loi européenne sur les activités spatiales renforce également cette position au niveau européen.
En substance, la position française relative à la confrontation dans l’espace repose sur un équilibre entre pragmatisme face à une réalité effective des opérations en orbite et respect du droit international. Cet équilibre peut cependant se heurter aux différences d’intérêts et de perceptions géopolitiques entre les acteurs européens lors des discussions portant sur l’allocation des ressources aux projets spatiaux et à l’orientation des coopérations internationales.
À le présenter comme un objet stratégique, on oublie que l’espace procède aussi de sa propre stratégie opérationnelle ; avec à la clé des actions tactiques. Quelle est votre perception de la préparation en la matière ? Au-delà de l’aspect matériel, le volet ayant trait à la formation et à l’entraînement vous paraît-il suffisamment développé ?
Les opérations spatiales sont régies par des contraintes temporelles, énergétiques et humaines spécifiques qui influencent leurs préparations opérationnelles. Même si les unités évoluent à très haute vélocité, les manœuvres prennent du temps en raison des distances qu’elles parcourent. Dans cette configuration physique, les postures offensives sont favorisées. Dès lors, jusqu’à ce qu’une rupture technologique intervienne en matière de propulsion, la bataille spatiale se gagnera tactiquement avant l’engagement, sur le prépositionnement des objets et la planification des actions. En conséquence, si la dynamique d’une opération spatiale peut sembler lente, le temps d’engagement peut quant à lui être très court. Pour cette raison, la déception joue un rôle central et les atouts spatiaux sont particulièrement indiqués pour des missions de renseignement. La principale difficulté est alors de coordonner la préparation opérationnelle spatiale avec celle des autres milieux d’opérations qui se prêtent bien mieux aux manœuvres défensives et réactives. L’articulation des différentes temporalités entre chaque milieu d’opération est donc aussi essentielle qu’ardue.
Ces spécificités entraînent évidemment des conséquences sur la formation des personnels, qui est encore en plein développement. La contraction du temps et l’inflation des données imposent déjà de repenser la préparation mentale et physique des opérateurs spatiaux, en plus de leurs entraînements techniques. La création de structures militaires spécifiques aux opérations spatiales, telles que le Commandement de l’espace (CDE) en France en 2019, répond ainsi à un besoin tant professionnel qu’opérationnel. À des degrés variés, les pays considèrent d’ailleurs l’espace comme le prolongement de l’atmosphère afin de pouvoir plus facilement affecter aux opérations spatiales du personnel déjà compétent et formé aux opérations aériennes. Dans ce cadre, les exercices, tels qu’« AsterX », les simulations et les serious games sont des outils privilégiés pour développer l’interopérabilité en s’entraînant avec nos partenaires. Cependant, il reste encore à construire une culture tactique, opérative et stratégique propre aux opérateurs spatiaux. Par analogie physique, ils s’enrichiraient aussi grandement des milieux naval et sous – marin. La complexification des enjeux inhérente à la nature stratégique du milieu spatial nécessitera que les futurs combattants soient capables de projection et d’adaptabilité face à des conséquences possibles sortant du domaine tactique. Les opérations spatiales futures exigeront encore plus d’autonomie et d’esprit de synthèse, ce qui impliquera certainement des techniques cognitives standardisées semblables à celles qui ont fait leurs preuves pour des sportifs de haut niveau.