Grace à ses Outre-mer, la France possède un vrai potentiel en matière d’influence, de permanence, de développement et de puissance. Mais la contrepartie doit être sa capacité à protéger et à défendre ces territoires qui seront de plus en plus convoités.
Bien souvent, la France est qualifiée de puissance maritime parce qu’elle exerce des pouvoirs de juridiction sur la deuxième ZEE du monde avec 10,2 millions de kilomètres carrés. Cette présentation montre surtout la mauvaise compréhension de ce qu’est la dimension maritime. Car, ce qui fait la puissance en mer n’est pas la possession de « vastes arpents de mer », mais bien la capacité pour un État à s’y déplacer, à y commercer, à l’exploiter, à la protéger et à y combattre. Pour cela, il faut des flottes, des technologies, des ports… et des marins.
Parmi les atouts de la France dans le maritime, il y a bien évidemment l’existence, sur toute la ceinture du globe, de territoires qui lui offrent une présence mondiale dont aucune autre nation du monde ne dispose.
Bouleversement du paysage stratégique dans la zone indo-pacifique
Le nouveau contexte géopolitique est à la fois favorable et défavorable pour les Outre-mer. La bonne nouvelle, c’est que notre monde se « maritimise » de plus en plus. Dans ce cadre, les territoires ultramarins ont des opportunités intéressantes de développement et d’échanges. Ils deviennent chaque jour plus stratégiques. La mauvaise nouvelle, c’est que de nouvelles puissances, dont la Chine surtout, développent des stratégies de conquête qui passent aussi par la dimension maritime. Nos Outre-mer sont en première ligne. L’isolement ne protège plus. La défense de ces territoires devient une ardente nécessité.
À 90 %, les territoires français se trouvent dans la zone indo-pacifique où s’est déplacé le centre de gravité de notre monde. C’est là que la Chine tisse patiemment sa toile en prenant une à une les positions qui pourraient assurer, demain, sa suprématie. Son rêve de grande puissance « dépend du maritime qui constitue l’épine dorsale de son économie » (1). Aussi, suivant sa culture du jeu de go, elle étend sa puissance maritime en agissant sur chacun des facteurs avec détermination. La Chine réalise désormais 59 % de la construction navale mondiale, dispose de 15 des 20 premiers ports mondiaux, détient la première flotte marchande (250 millions de tonneaux de jauge brute) et la deuxième flotte militaire.
Sur les océans, la Chine a adopté la stratégie d’étouffement du boa, accumulant les petites actions qui ne provoqueront pas de casus belli, mais qui conduiront à un changement stratégique majeur. Elle développe une présence militaire et commerciale dans des ports comme Djibouti, Gwadar (Pakistan) et Kyaukpyu (Birmanie), à proximité de grands détroits internationaux. Actuellement, elle se déploie en direction des iles du Pacifique où elle poursuit son action d’implantation. C’est le cas encore aux iles Salomon où elle vient de signer, cette année, d’importants accords de sécurité qui pourraient déboucher sur l’installation prochaine d’une base militaire.
L’autre grande puissance maritime émergente est l’Inde. Inquiète de l’activisme maritime de la Chine dans l’océan Indien, l’Inde poursuit aussi une politique de développement de sa flotte et d’installation de bases navales. Mais, à la différence de la Chine, cette politique se fait en coopération avec les puissances occidentales. Les États-Unis ont ainsi accordé des facilités d’escale à l’Inde dans sa grande base navale de Diego Garcia, et la France, à La Réunion. Après avoir créé des bases navales dans ses iles Andaman et Nicobar, au débouché du détroit de Malacca, l’Inde a inauguré le 6 mars 2024 une deuxième base militaire navale dans l’archipel des Laquedives, à Minicoy, sur une route maritime sensible.
Les Outre-mer français en première ligne
Cette situation fait que les territoires ultramarins de la France dans l’Indo-Pacifique se trouvent désormais sur une ligne de fracture mondiale. Ils sont devenus, en quelques années, des interfaces géostratégiques dans des océans convoités, permettant à la France d’être au plus près des zones de tension.
Pour les territoires français du Pacifique, les enjeux sont actuellement liés à l’agenda de la Chine qui a adopté une politique d’influence très volontariste. Avec une approche multidimensionnelle touchant des secteurs variés comme la sécurité, l’économie, la culture, les relations internationales ou l’environnement, cette stratégie d’influence a pour vocation de faire basculer les États insulaires dans sa sphère d’influence.
La Chine sait aussi tirer parti des États en crise ou déstabilisés comme nous le montre le cas des iles Salomon ou du Vanuatu. Il est indéniable que la crise actuelle de la Nouvelle-Calédonie constitue un facteur puissant de déstabilisation de la France dans cette zone du Pacifique jouant en faveur de la Chine.
Quant aux territoires français de l’océan Indien, ils sont en train de retrouver la place stratégique qu’ils avaient perdue avec l’inauguration du canal de Suez à la fin du XIXe siècle. En effet, les actions des rebelles houthis en mer Rouge contre les navires de commerce ont produit leur effet en divisant par deux le nombre de navires dans le canal de Suez au premier semestre 2024.
Menacées dans les eaux littorales de la mer Rouge, les flottes marchandes vont avoir de plus en plus tendance à emprunter la haute mer. C’est ce qui a déjà commencé car ce sont 7,6 millions de tonnes de marchandises qui transitent désormais par le cap de Bonne-Espérance contre 1,8 dans le canal de Suez. Dans ces conditions, des iles comme Mayotte ou La Réunion prennent une importance stratégique majeure qui pourrait s’amplifier dans l’avenir si le passage par Suez constituait un risque non acceptable pour les transporteurs maritimes.