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Un processus de navalisation aux ramifications complexes

Une « navalisation » des relations internationales est plus nettement à l’œuvre depuis les années 2010 : densification des marines, prolifération sous – marine, développements capacitaires divers… Observe-t‑on un changement dans l’équilibre des puissances navales au-delà du cas naval chinois évident ?

Sans vouloir parler de changement drastique dans l’ordre des puissances navales, il est en effet évident qu’un certain nombre d’États recherchent un positionnement plus fort dans les capacités d’action en mer, que ce soit sur le plan qualitatif ou sur le plan quantitatif. Avant d’entrer plus en détail dans une analyse particulière, il importe de souligner que la dynamique du réarmement naval, telle qu’elle s’observe depuis la seconde moitié de la décennie 2010, n’épargne aucune région du monde. De la Méditerranée à l’Amérique latine, en passant bien entendu par l’Indopacifique, toutes les zones sont concernées, à des degrés divers, par cette volonté d’un ou de plusieurs acteurs de revitaliser ou de redimensionner sa marine.

Ce cadre étant posé et au – delà du cas chinois, un certain nombre d’États ont entrepris des investissements massifs, dont le but est le plus souvent de sortir du cadre d’une marine à vocation locale (brown water navy) pour devenir une marine régionale (green water navy), voire à portée transcontinentale (blue water navy). Deux exemples sont ici particulièrement prégnants : l’Inde et la Turquie. Du côté de New Delhi, la stratégie de développement capacitaire est claire, il s’agit de disposer d’une capacité aéronavale forte, apte à intervenir dans les zones d’intérêt prioritaires de l’Inde qui, en suivant le développement de la puissance indienne, s’étendent maintenant à l’ensemble de l’océan Indien. Alors que la posture terrestre nationale est fondée sur une sanctuarisation du tri – Cachemire face au Pakistan et à la Chine, la posture navale apparaît plus fluide, car elle doit faire face à la croissance de la présence chinoise dans la zone, avec le renforcement de la proximité entre la Chine et plusieurs États voisins de l’Inde (Bangladesh, Maldives, Pakistan, Sri Lanka). La marine est ici pensée comme un outil capable de « briser un encerclement » et de rendre une liberté de manœuvre stratégique, ce qui explique l’accent mis sur l’aéronautique navale ainsi que sur les sous – marins.

Du côté turc, les choses sont assez comparables, même si ici le développement ne se fait pas en réaction à la pression directe d’un compétiteur. Ankara, comme New Delhi, recherche une évolution qualitative et quantitative, avec une flotte sous – marine étoffée composée de six Type‑214 de technologie allemande, une évolution profonde des forces de surface – à la suite notamment du programme de corvettes et frégates nationales MILGEM – et surtout un accroissement très significatif des capacités de projection, autour du porte – hélicoptères amphibie Anadolu, dont l’éventualité de transformation en porte – drones est régulièrement évoquée. La marine turque qui, jusqu’au milieu des années 2000, était une force très limitée en capacités, achetant des navires de seconde main et ne recherchant que peu les déploiements loin de ses côtes, est sans doute celle qui a connu l’évolution la plus profonde, avec des impacts sur l’équilibre militaire méditerranéen.

Les pays d’Afrique du Nord ne sont pas en reste puisque le Maroc – de manière secondaire – l’Algérie et l’Égypte ont également fortement renforcé leurs capacités navales, avec des unités modernes et puissantes : sous – marins Kilo emportant le missile Kalibr et frégates MEKO A200 pour l’Algérie, porte-hélicoptères de classe Mistral, FREMM et MEKO A200 pour l’Égypte, FREMM pour le Maroc, etc. Ici également, on constate à la fois une augmentation nette du nombre d’unités pour des marines à portée régionale et celle des capacités de chacune des unités, incluant missiles antinavires, missiles de croisière et systèmes de projection de force et de puissance, y compris parfois aéronavale.

Sans entrer dans une logique de catalogue géographique, il est ainsi possible de distinguer trois grandes tendances dans ce réarmement, souvent liées. D’une part, la prolifération des sous – marins d’attaque à propulsion conventionnelle, dont les avancées ces dernières années sur les systèmes AIP (Air independent propulsion) les ont rapprochés, en termes d’endurance à la mer et de discrétion, des sous – marins à propulsion nucléaire. D’autre part, l’accent mis sur l’aéronavale, embarquée ou non, avec de manière croissante la volonté d’intégrer dans cette logique de la 3e dimension en mer des drones porteurs de charges diverses. Enfin, de manière transverse, une missilisation des plateformes, aussi bien de surface que sous – marines, augmentant de manière importante la létalité de chaque unité.

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