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GEOINT : un outil d’aide à la décision devenu incontournable

Existe-t-il une cellule GEOINT au sein de l’OTAN ?

Il existe depuis à peu près dix ans un centre de fusion otanien qui est basé en Angleterre. Il est considéré que ce qui caractérise le GEOINT au sein de l’OTAN suit les principes fondamentaux du GEOINT américain, en matière de doctrine, de processus et d’emploi. Si la doctrine est d’origine américaine, ses moyens GEOINT sont en plein développement depuis la guerre d’Ukraine. La dynamique est à la montée en puissance du GEOINT là où il y a des structures internationales comme le SATCOM au sein de l’Union européenne.

Dans ce « siècle de la donnée », où l’information est plus abondante que jamais, quel rôle jouent déjà l’intelligence artificielle et le machine learning dans l’analyse géospatiale ? 

De nouveau, il s’agit d’un secteur en plein développement. Trois grands secteurs d’activité de l’intelligence artificielle en lien avec le GEOINT se rencontrent. 

Le premier est lié à la détection et la caractérisation des motifs de vie d’un site. Par l’emploi d’algorithmes, il est possible de faciliter la tâche des analystes puisque l’algorithme va détecter des modifications de mouvements d’engins comme des avions, des chars, des unités au sol. La multiplication et le traitement par l’intelligence artificielle permettent de mieux détecter et d’avoir de meilleures solutions pour faire de meilleures analyses et disposer d’une supériorité informationnelle.

Le deuxième secteur est lié à la cartographie automatisée d’un site. L’IA dans le secteur du GEOINT permet d’aboutir à une cartographie automatique, donc d’avoir les informations les plus récentes, toujours en s’appuyant sur l’imagerie spatiale et sur d’autres types de capteurs.

Le troisième est lié à la détection et l’identification d’objets au sol à partir de l’image optique. Celle-ci favorise la précision d’informations et permet, par exemple, de ne pas confondre un avion de chasse avec un véhicule. 

Les liens entre l’IA et le GEOINT sont donc divers. Ils présentent des applications concrètes et opérationnelles qui permettent de gagner du temps dans le traitement de l’information par les analystes.

Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes dans l’évolution du GEOINT ? Comment envisagez-vous l’évolution de son rôle au cours des dix prochaines années ?

Les évolutions majeures apparaissent d’abord sur le plan des capteurs. Le drone est un des capteurs qui se développe de plus en plus. Il apparait ensuite une culture d’emploi qui est en pleine évolution actuellement et qui rejoint la doctrine multimilieux-multidomaines. La doctrine américaine, à la fin des années 2010, repose sur l’idée qu’il faut intégrer un ensemble de milieux simultanément (multimilieux). Or, le GEOINT a cette caractéristique fondamentale de prendre en compte tous les capteurs dans tous les milieux géographiques, qu’ils soient matériels (Terre, Air, Mer) ou immatériels (numérique, infosphérique, électromagnétique).

La troisième mutation est liée à l’exploitation, qui est le cœur du GEOINT. Les capacités de réalisation d’un produit fini, en termes de visualisation par exemple, sont en plein développement actuellement. 

Enfin, les évolutions propres au GEOINT concernent aussi le secteur civil. Les grands groupes industriels travaillent tous actuellement dans le développement de ce secteur d’activités (Amazon, Google pour les plus connus). Ils deviennent souverains dans le domaine du géospatial avec leur propre constellation. Il est distingué généralement deux nouveaux secteurs économiques liés au GEOINT. Le premier est le geospatial business intelligence, qui est relatif au marché de la connaissance par la qualité et la diversité des données GEOINT (localisées et horodatées). Le second domaine d’exploitation est appelé competitive intelligence, qui répond aux besoins d’optimisation des activités humaines, comme l’amélioration de l’utilisation de l’eau ou des semences dans les grands domaines agricoles. Il peut aussi concerner toute activité relative au commerce ou à la logistique. 

La donnée devient une richesse. D’un côté, il y a le marché de la recherche et de l’autre, le fait de produire de la donnée, et cela crée depuis plus de dix ans un marché colossal qu’ont saisi les grands groupes américains. Nous ne sommes qu’au début de ce phénomène où les services GEOINT dépassent le cadre du renseignement pour créer une nouvelle industrie civile.

Propos recueillis par Éloïse Fardeau Le Meitour le 9 septembre 2024.

Légende de la photo en première page : Conférence annuelle du GEOINT Symposium, États-Unis, 2015. Aux États-Unis, la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA) soutient les unités américaines en leur apportant des données et des analyses recueillies grâce à l’intelligence géospatiale. En matière de sécurité nationale, l’agence est particulièrement sollicitée face aux catastrophes naturelles, par exemple lorsque des ouragans menacent les populations, comme ce fut le cas à l’automne 2024 dans le Sud-Est du pays. (© NGA_GEOINT/X)

Article paru dans la revue Diplomatie n°130, « L’Union européenne face à ses défis », Novembre-Décembre 2024.

À propos de l'auteur

Philippe Boulanger

professeur de géographie à Sorbonne Université (laboratoire Médiations), responsable du master « Géopolitique et Information géographique numérique (GEOINT) », auteur de Planète médias : géopolitique des réseaux et de l’influence (Dunod, 2021) et du premier manuel en français sur le GEOINT, Geospatial Intelligence : GEOINT, un outil géopolitique d’aide à la décision (Dunod, 2024).

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