La composition des principaux équipements militaires s’oriente de plus en plus vers une architecture « système de systèmes » connectés : un équipement fini rassemble désormais plusieurs sous-systèmes numériques composés de semi-conducteurs (les « puces »).
Toutefois, aucun pays n’est en mesure de rassembler sur son territoire la totalité de la chaîne de valeur du semi-conducteur.
Cette dernière se concentre sur des pôles géographiques d’excellence, ce qui comporte des risques pour l’indépendance des approvisionnements de notre Base industrielle et technologique de défense (BITD).
L’apparition des puces dans les matériels militaires se situe dans le courant des années 1960. L’industrie militaire constituait le principal débouché de cette industrie naissante ; en 1965, « 95 % des puces produites cette année [par Fairchild] étaient destinées à l’armée (1) ». La même année, Gordon Moore, directeur de la R&D de Fairchild, remarquait que le nombre de composants (transistors, diodes, etc.) imprimés sur une surface limitée semi – conductrice avait doublé chaque année, et qu’elle continuerait cette trajectoire à intervalle régulier. Cette prévision s’est avérée exacte jusqu’aujourd’hui.
Du programme Apollo au programme SCORPION
Au fur et à mesure de la miniaturisation des puces, ces composants se sont révélés indispensables pour nombre d’activités économiques, industrielles et militaires. Recouvrant une immense diversité de types possibles, les puces se répartissent en trois catégories : logiques (une puce servant de support à de la transmission de données en vue d’un calcul), mémoires (une puce servant au stockage de la donnée nécessaire à tout calcul informatique) et DAO (Discrete, analog and other) : des puces servant à la transmission, à la réception et à la transformation de données liées à des tâches variées telles que le contrôle de la température et de la tension, la réception de signaux radio et les capteurs optiques (2). Du poste radio au sous-
marin nucléaire, tout équipement militaire contemporain recourt à un vaste spectre de puces : près de 250 pour un missile antichar Javelin (3), plusieurs milliers pour des aéronefs, des navires et des véhicules. L’ensemble des trois catégories de puces peut aussi être embarqué sur un même équipement : un véhicule CAESAR concentre des puces DAO pour ses batteries, capteurs et consoles, des puces mémoires et logiques pour le fonctionnement du système ATLAS et de la centrale inertielle embarquée.
Ainsi, la combinaison de ces trois catégories de puces sur un vaste spectre de miniaturisation – de 3 nm à 240 nm – est essentielle pour la fabrication d’équipements militaires, en dépit de la focalisation du débat public sur les puces logiques « avancées » d’un degré de miniaturisation supérieur au seuil de 16 nm. Ce degré a son importance pour les puces logiques et mémoires ; une puce dotée d’une plus grande densité de transistors possède une puissance de calcul décuplée. Toutefois, la performance des puces DAO ne se mesure pas à l’échelle de leur miniaturisation, mais bien aux attributs spécifiques conférés à une catégorie de puces (vitesse et efficacité dans des environnements à très haute fréquence). Ces puces sont nommées « matures » en raison de leur faible degré de miniaturisation (au-delà de 16 nm), ce qui ne doit pas porter à confusion sur leur nature stratégique : plus « matures », elles sont également plus solides, plus faciles à fabriquer et à modifier pour des usages spécifiques (senseurs, batteries, systèmes de contrôle et de transmission, suites logicielles, etc.). Ainsi, les puces GaN (nitrure de gallium) ne se démarquent pas par leur degré de miniaturisation, mais par leur structure composite à base de gallium et de silicium leur permettant d’évoluer dans des environnements à haute température et à haute fréquence (Coumpound and wide – bandgap semiconductors). Elles sont essentielles à la fabrication de radars embarqués dans des aéronefs et des missiles comme à celle d’antennes 5G ou de véhicules électriques (4).
Aussi, l’approvisionnement de la BITD en puces s’appuie-t‑il tant sur les principaux flux civils émanant des fonderies nord – asiatiques et européennes (puces COTS – Commercial – off-the-shelf) que sur les capacités autonomes de fabrication de puces spécifiques programmées pour des usages militaires (puces FGPA – Field – programmable gate array, ou puces librement configurables selon les besoins des utilisateurs) et puces ASIC (Application – specific designed circuit, ou puces produites pour un usage spécifique).