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Chine : la marche forcée de l’aviation embarquée

En août 2004, Pékin approuve formellement le programme de porte-­avions demandé depuis déjà quarante ans par le grand modernisateur de la marine, Liu Huaqing. Le bombardement américain de son ambassade à Belgrade en 1999 décide la direction politique, jusque-là réticente. L’erreur plaidée par Washington ne convainc pas, et le pays est horrifié que les États-Unis, perçus comme technologiquement infaillibles, aient pu se déterminer à prendre des vies chinoises.

Deux décennies plus tard, la Chine s’apprête à admettre au service son troisième porte – avions, comparable à un Forrestal, mais avec des catapultes électromagnétiques, ainsi qu’un quatrième porte – hélicoptères d’assaut. Sur les deux premiers, la formation des pilotes s’intensifie. Au-delà de l’objectif fondamental, dissuader Taïwan sécessionniste, ces plateformes annoncent des capacités de projection globales pour le centenaire de la République populaire, en 2049.

Deux porte-avions en sept ans

L’institut no 701 est chargé de l’achèvement du Varyag soviétique acheté à l’Ukraine par un millionnaire de Hong Kong, mandaté par le chef du renseignement naval chinois. Après un périple entravé par la Turquie, à laquelle Pékin consent des compensations financières, le sister – ship du Kuznetsov russe est remorqué vers Dalian, et non pas Macao où il devait servir de casino. Admis dans la cale de 300 000 t, sa construction reprend. Le 17 août 2007, une déclaration le présente comme un bâtiment d’instruction pour les cadets de l’académie navale de Lushun. Entre novembre 2011 et août 2012, l’ex – Varyag prend la mer sept fois avant sa mise en service le 25 septembre sous le nom de Liaoning, la province dans laquelle sont situées Dalian et Lushun. Son radar en bande S « Étoile de mer » (346) ressemble au système Aegis américain et dirige les interceptions. Son groupe aérien comprend 36 appareils, dont 24 chasseurs Shenyang J‑15 Flying Shark copiés sur le Su‑33 russe à partir d’un prototype acheté à l’Ukraine, huit hélicoptères anti-sous – marins Changhe Z‑18F, quatre Changhe Z‑18J de guet aérien et deux hélicoptères de sauvetage Harbin Z‑9C. Comme son sister – ship russe, le Liaoning fait décoller ses avions sur un tremplin. Les marquages du pont d’envol reprennent ceux du Kuznetsov, mais les personnels suivent exactement les mêmes procédures que les personnels américains et portent les mêmes couleurs. Contrairement au Kuznetsov, le Liaoning n’emporte pas de missiles antinavires, écartant le danger aérien avec trois systèmes de missiles HQ‑10 copiés sur le RAM américain. Ses capacités militaires en nombre de sorties et en puissance de feu ne représentent que le sixième des capacités d’un super porte – avions de l’US Navy.

Un accord signé entre la Chine et l’Ukraine en juillet 2009 permet à 18 pilotes chinois de recevoir une formation à l’Université de l’armée de l’air de Kharkiv. Trois groupes de techniciens chinois se rendent en Crimée, alors ukrainienne, pour suivre une instruction de trois mois sur le tremplin de Saki. Parallèlement, le renseignement chinois cherche à obtenir les plans de l’installation qui reproduit à terre un pont d’envol. Deux citoyens russes, père et fils, communiquent ces informations à la Chine et sont emprisonnés dix ans en Ukraine. La marine de l’Armée populaire de libération construit deux centres d’entraînement à Huangdicun (près d’Huludao) et à Wuhan, le premier étant analogue au site de Saki et le second représentant une maquette en béton du Liaoning pour tester la compatibilité électromagnétique des équipements.

Basé près de Qingdao, en mer Jaune, le Liaoning effectue en 2012 son premier déploiement vers l’île de Hainan, en mer de Chine méridionale, réaffirmant la revendication chinoise. Il valide le concept soviétique de « bastion » : protéger les SNLE dans un sanctuaire à l’abri des avions de patrouille maritime adverses. En décembre 2016, le Liaoning gagne le Pacifique occidental par le détroit de Miyako et, en avril 2018, il participe aux exercices en mer de Chine méridionale, qui regroupent 48 bâtiments. Il escorte notamment un SNLE au – delà de la première chaîne d’îles, une manière d’aider un sous – marin bruyant à se diluer dans le vaste Pacifique.

Mis sur cale en 2015 au chantier naval de Dalian, le Type‑002 (ex – 001A) copie le Liaoning (305 m, 70 000 t.p.c.). Après des années de négociations, le chantier ukrainien de Nikolaïev vend la technologie de ses machines à vapeur à Harbin Turbine Company, pour réaliser les huit turbines et chaudières à vapeur. Les modifications du Type‑002 portent sur l’angle du tremplin (12° au lieu de 14°), un hangar plus long grâce à l’élimination des tubes lance – missiles, déjà désaffectés sur le Liaoning, un îlot réduit de 10 %, mais doublé d’une seconde passerelle pour séparer les opérations aériennes de la navigation et un radar amélioré (346A). Lancé en 2017, le Type‑002 effectue neuf essais à la mer entre avril 2018 et fin 2019. Baptisé Shandong, du nom de la province au sud de la mer Jaune, il est admis au service le 17 décembre, quatre ans après sa mise en construction. Il emporte le même armement que le Liaoning et un groupe aérien augmenté de quatre appareils.

Former un maximum de pilotes

Basé à Sanya, sur l’île de Hainan, dans la flotte du théâtre sud, le Shandong confirme la vocation des porte – avions chinois à protéger les SNLE et à réaffirmer la souveraineté chinoise, en particulier sur Taïwan. En novembre 2019, il participe à un grand exercice en mer de Chine méridionale. En décembre 2019 et 2020, le Shandong traverse le détroit de Taïwan avant de rentrer à Sanya. Depuis 2020, le Liaoning et le Shandong intensifient leurs opérations. Il s’agit de former et de qualifier un maximum de pilotes pour les futurs porte – avions. Créée en 2017 dans la province du Shandong, l’Université d’aéronautique navale de Yantai est engagée dans cet effort. Elle accueille désormais de nouveaux diplômés du secondaire en leur donnant trois ans de formation où ils apprennent à voler et déjà à apponter. L’accent est mis immédiatement sur la formation au combat. Auparavant, cet apprentissage s’effectuait après l’affectation en unité.

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