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Programme chargé pour la Marine nationale

Pour autant, les perspectives et les issues de la guerre sont encore inconnues. La Russie voulait étouffer l’Ukraine et la priver de ses accès maritimes. Mais ils sont vitaux pour l’Ukraine, et elle fera tout pour les sauvegarder.

Faire fonctionner une marine est un exercice complexe : maintien en condition, recrutement et fidélisation, entraînement, modernisation, renforcement des stocks de munitions… Quels sont vos points de vigilance plus particuliers ?

C’est mon rôle d’assurer au chef d’état-­major des armées et au président de la République, chef des armées, une marine prête au combat.

Au cœur de nos préoccupations se trouvent les marins eux-­mêmes et les ressources humaines. La marine remplit aujourd’hui son besoin de recrutement tant en qualité qu’en quantité, avec un bon niveau de sélectivité. Quatre mille marins à recruter par an, dans 80 métiers, c’est une mission pivot. La Marine fait, avec le soutien du ministère, d’importants efforts pour faire progresser les marins, et pour les conserver. Je dis souvent que l’on doit « donner envie d’avoir envie » : envie de rentrer dans la marine ; envie de progresser ; envie de rester. Nous sommes également en train de moderniser nos cycles et programmes de formation, en ouvrant par exemple en 2025 l’école des Apprentis de la Marine (niveau première-terminale) sur le site de Saint-Mandrier, mais aussi en augmentant sensiblement le nombre de places à l’école des Mousses et à l’école de Maistrance. Les ressources humaines sont clairement l’enjeu central des prochaines décennies.

Tous les points de vigilance que vous énoncez sont scrutés avec précision. Chaque détail est important, chaque décision a des conséquences, chaque renoncement se ressent, parfois une décennie plus tard. Car la Marine est un objet du temps long, on réfléchit pour le siècle. Elle exige une vision stratégique de long terme pour conserver la supériorité opérationnelle dans vingt ans et au-delà. Il faut sept ans pour construire une frégate, plus de dix ans pour construire un porte-­avions, qui naviguera jusqu’en 2080. Aujourd’hui, on construit des bassins pour cent ans. Le dernier sous-­marin nucléaire lanceur d’engins de 3e génération à entrer en service naviguera jusqu’en 2090 ! Oui, on peut avoir une image assez réaliste de la menace et des besoins militaires jusqu’en 2040. Mais, imaginer la société, le monde du travail, l’art de la guerre en 2050, c’est très difficile tant notre monde évolue vite sous l’effet de l’accélération technologique, du changement climatique, des évolutions sociétales… Il faut donc construire des capacités qui pourront faire face aux menaces de 2040 et qui seront suffisamment évolutives dans le temps long.

Mais il y a aussi le temps court de mon plan stratégique, dévoilé en mai 2024 : renforcer la capacité immédiate à combattre. Il y a donc un paradoxe à surmonter entre l’urgence d’adapter nos systèmes, nos modes d’action et nos organisations à la menace actuelle, et la nécessité de construire la marine à un horizon plus lointain. Quelques décisions nécessaires doivent être prises maintenant, d’autres doivent s’adapter au cycle d’évolution de notre environnement, un cycle beaucoup plus court aujourd’hui qu’il ne l’était auparavant. C’est le sens des défis technologiques, comme le système de lutte anti-­mines du futur, une capacité entièrement dronisée. On progresse aussi beaucoup dans la connaissance et la surveillance des fonds marins, soutenus par une stratégie ministérielle cohérente et intégrée.

Pour ce qui concerne l’entraînement, il a été rehaussé au regard de l’évolution des menaces. C’est le cas, par exemple, pour la lutte antidrone, mais c’est vrai pour tous les domaines de lutte. C’est vrai encore dans un cadre interarmées ou interallié, à travers les exercices « POLARIS/ORION » ou les exercices majeurs de l’OTAN. La simulation nous aide, mais ne remplacera jamais l’activité et l’entraînement à la mer. Enfin, quelques mots sur les munitions : la Loi de programmation militaire 2024-2030 amplifie la rénovation et les commandes de munitions ; c’est nécessaire pour améliorer la situation des stocks et, in fine, être prêt à combattre.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 30 septembre 2024.

Légende de la photo en première page : La Bretagne en mer au cours de l’exercice « Formidable Shield 2023 ». (© European Command)

Article paru dans la revue DSI n°174, « Israël contre l’Iran (et ses proxys) : la confrontation », Novembre-Décembre 2024.
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