Magazine DSI HS

La flotte américaine se perd-elle en haute mer ?

Le nombre de travaux mettant en évidence le dynamisme de la flotte chinoise – et son impressionnante montée en puissance – comparativement à la stagnation de la flotte américaine ne cesse de croître. S’ils actent sans doute hâtivement d’un dépassement quantitatif – on ne parle pas des mêmes unités –, il faut cependant y voir une dynamique de fond, qu’il sera difficile pour Washington de renverser.

Bien évidemment, on ne peut pas résumer une marine au nombre et à la variété de ses unités : les facteurs qualitatifs importent, qu’ils soient matériels (en ce compris la maintenance) ou liés au personnel ou à la qualité des entraînements. En la matière, l’US Navy a encore la haute main, au moins temporairement, étant donné la crise du recrutement, avec plusieurs milliers de postes vacants. Mais il n’en demeure pas moins que le nombre d’unités et la salve qu’une marine peut déployer importent, en particulier lorsque ses ambitions sont globales et que son principal théâtre d’opérations est l’Indopacifique, qui n’est pas loin de comprendre les deux tiers des mers navigables du globe.

Le contrat opérationnel édicté en 2022 exige que 75 bâtiments soient parés à un déploiement sous court préavis, mais seulement 50 pouvaient, mi-2024, être considérés comme tels. D’emblée, il faut ici constater que les problèmes de maintenance se recoupent avec ceux liés au rythme de la construction navale. Wash-
ington peut compter sur trois grands chantiers : Newport News et Ingalls (Huntington Ingalls) pour les plus grandes unités et les sous-­marins et Kennebec (Bath Iron Works) pour les destroyers ; et sur d’autres de moindre importance : Marinette Marine (Fincantieri) pour les corvettes et les futures frégates Constellation, Mobile (Austal) pour les LCS de classe Independence et Avondale (Litton) et les chantiers de General Dynamics NASSCO pour les ravitailleurs. Tous connaissent à des degrés variables un déficit d’emplois, et bon nombre de fournisseurs sont en retard sur les livraisons. L’US Navy dispose en propre de quatre chantiers permettant les maintenances – Pearl Harbor, Puget Sound, Portsmouth, Norfolk –, mais ce sont, dans une large mesure, les mêmes industriels qui y interviennent.

Une infrastructure insuffisante n’est pas seule en cause dans les problèmes rencontrés par la Navy. Il y a d’abord la question des rythmes de mise sur cale, qui est intimement liée à celle des budgets et des retards dans les approvisionnements ; mais aussi celle des choix en matière de nouveaux designs. En l’occurrence, l’US Navy est toujours dans la longue traîne de la fin de la guerre froide, avec un nombre considérable de bâtiments à remplacer : sous-­marins et porte-­avions ; poursuite du programme Arleigh Burke dont les premières unités ont maintenant plus de 30 ans ; flotte de transport stratégique et de prépositionnement ; délicate question du remplacement d’un « segment frégates » – la Navy ayant disposé de jusqu’à 57 Oliver H. Perry – pour lequel les LCS (Littoral combat ship) sont totalement inappropriés ; ravitailleurs ; reconstitution des capacités de guerre des mines.

Sous-marins, porte-avions et ravitailleurs : des retards

Le renouvellement des porte-­avions et des sous-­marins est certes bien engagé, mais les retards s’accumulent (1). Pour les sous-­marins, deux Virginia sont attendus par an, mais le rythme annuel des mises sur cale n’a pas été respecté en 2021 et en 2022, avant qu’elles ne reprennent en 2023, non sans plusieurs goulets d’étranglement dans la livraison des composants (2). Entre-­temps, plusieurs contrats ont été passés, d’une valeur de 5,6 milliards de dollars, pour sécuriser les approvisionnements, avec une proposition d’investissement, hors nouveaux bâtiments, de 17,5 milliards sur cinq ans afin d’adapter les chantiers. Mais les conséquences des retards se font déjà sentir. Ainsi, seules 22 unités sur les 66 à terme sont actuellement entrées en service, 20 ans (octobre 2004) après l’admission de la tête de classe. Début mai 2024, le retard cumulé sur les différents bâtiments atteignait 410 mois, de sorte que l’atteinte de la cible finale pourrait être retardée de trois à quatre ans. Or, le rythme de sortie de service des Los Angeles va s’accélerer, le dernier des 24 bâtiments encore opérationnels devant quitter le service vers 2031. Un étiage de la flotte de sous-­marins nucléaires d’attaque se profile donc à la fin des années 2020, d’autant plus que les quatre Ohio lanceurs de missiles de croisière, qui doivent être remplacés par des Virginia Block 5, devraient tous avoir quitté le service en 2028.

Le domaine des ravitailleurs laisse plus d’espoir, avec une flotte qui va croître : 34 unités sont prévues à terme, contre 30 actuellement, sachant qu’elles ont un déplacement plus important, tenant compte d’une plus grande activité dans le Pacifique :

• 14 Lewis and Clarke (T‑AKE) de 41 000 t.p.c., surtout destinés au fret (6 675 t de munitions, 1 710 t de vivres), avec une petite capacité de ravitaillement en carburant (3 242 t) sont entrés en service entre 2006 et 2012 ;

• à terme, 20 John Lewis (T‑AO) – le premier est entré en service en juillet 2022 – remplaceront les deux derniers Supply de même que les 14 Henry J. Kayser de 25 454 t entrés en service entre 1986 et 1995. Dérivés de ces derniers, ils déplacent 49 850 t.p.c., dont 20 478 t de carburant, et leur capacité en fret est supérieure.

0
Votre panier