L’assaut du Hamas le 7 octobre 2023 a frappé la société israélienne en plein cœur et généré un choc inouï. Si les Brigades Ezzedine al-Qassam avaient déjà tenté de s’infiltrer en territoire israélien en 2014, elles ont réussi cette fois-ci et pour la première fois à pénétrer l’hinterland de l’État hébreu, tuant près de 1 140 personnes et en prenant 252 autres en otages. S’il est tôt pour prédire une issue du conflit à Gaza, il est certain que cette guerre affectera durablement la trajectoire future d’Israël (1).
Bien qu’un consensus se dessine sur la nécessité d’arracher au Hamas une forme de victoire, les Israéliens semblent divisés sur les scénarios du « jour d’après ». Face à une campagne militaire qui s’étend en longueur, soulevant la question de l’enlisement, le gouvernement de Benyamin Netanyahou (depuis 2022) apparaît fragilisé. Sur le front extérieur, le conflit a affaibli la capacité de dissuasion des Forces de défense d’Israël (Tsahal), comme en témoignent les attaques calibrées et coordonnées lancées par l’Iran dans la nuit du 13 au 14 avril. L’aura d’invincibilité dont jouissait l’armée israélienne s’est estompée. Les conséquences humanitaires de l’opération « Glaives de fer » à Gaza ont également suscité des condamnations de la part de la communauté internationale. Même à Washington, certaines voix appellent à reconsidérer le soutien inconditionnel apporté à Tel-Aviv.
« Glaives de fer » : premiers retours d’expérience
Au lendemain de l’attaque du 7 octobre 2023, Benyamin Netanyahou promit de mener une guerre sans merci contre le Hamas pour venger les victimes et libérer les ressortissants israéliens et étrangers emmenés de force à Gaza. Mobilisant en quelques jours plus de 300 000 réservistes, le Premier ministre annonçait une campagne longue et coûteuse, qui ne prendrait fin qu’avec la destruction totale des capacités militaires (et de gouvernance) du Hamas. Les communautés israéliennes situées dans un rayon de 80 kilomètres autour de la bande de Gaza, en plus d’une vingtaine de localités à proximité de la frontière libanaise, furent évacuées.
Cette campagne peine à atteindre ses objectifs : début juin 2024, 132 otages sont toujours détenus par le Hamas et ses alliés, en dépit des moyens massifs déployés. Certains observateurs estiment que plus de la moitié des personnes retenues pourraient avoir péri dans les bombardements. La pertinence de l’approche militaire maximaliste adoptée par le gouvernement est de plus en plus critiquée par les familles. Un premier cessez-le-feu d’une semaine fin novembre 2023, ayant permis l’échange de 105 otages (81 Israéliens et 24 étrangers) contre 240 prisonniers palestiniens, avait soulevé l’espoir d’une libération rapide des autres. Depuis, l’incapacité des belligérants à s’accorder sur les termes d’un cessez-le-feu durable a fait dérailler plusieurs rounds de négociations promus par les médiateurs régionaux (Qatar, Égypte, Jordanie), avec l’appui des États-Unis et de la diplomatie européenne. En parallèle, le cabinet de guerre israélien fait face à des pressions croissantes en raison de l’augmentation des victimes et des destructions dans Gaza. Tsahal a, entre-temps, déployé le rouleau compresseur de ses opérations vers le sud de la bande.
Si Tsahal a réussi à dégrader de manière significative les capacités du Hamas et du Djihad islamique, ses propres troupes ont subi des pertes importantes et le bilan semble mitigé pour Israël. Fin mai 2024, plus de 290 soldats israéliens avaient été tués au combat à Gaza (2). Au-delà, l’attaque iranienne du 13 avril (ayant combiné 330 drones, missiles balistiques et missiles de croisière lancés vers le territoire israélien) signale l’érosion de la capacité de dissuasion israélienne au sein de la région.
L’inscription dans la durée des opérations remet par ailleurs en question l’un des fondements de la doctrine stratégique israélienne qui vise à remporter des victoires rapides et décisives sur ses adversaires. Ce sont autant de leçons que les forces armées israéliennes devront intégrer dans leurs futurs retours d’expérience. À l’issue de la guerre, il est probable que le commandement politico-militaire israélien ait à rendre des comptes sur sa gestion des opérations, de même que sur son incapacité à anticiper les attaques du 7 octobre 2023. La possible responsabilité du Premier ministre dans la « faillite du renseignement » divise déjà les classes politique et militaire israéliennes.
Les dynamiques en cours à Gaza, au Liban et en mer Rouge ont cependant démontré l’efficacité des systèmes intégrés de défense aérienne et antimissile de l’État hébreu, et souligné les performances des technologies de défense : le « Dôme de fer » aurait ainsi intercepté plus de 11 000 roquettes et missiles (sur un total de 13 000) et la cyberdéfense israélienne a prouvé son efficacité contre les hackers iraniens. Des performances confirmées par l’interception de 99 % des missiles et drones lancés en direction d’Israël le 13 avril 2024. Les forces israéliennes restent néanmoins dépendantes des transferts d’armes et du soutien politico-financier de leurs partenaires (États-Unis, États européens, Inde, Argentine, etc.) et des communautés juives à l’étranger. De même, l’attaque du 13 avril a prouvé la robustesse des accords politico-sécuritaires conclus avec la Jordanie et certaines monarchies du Golfe, et démontré la pertinence des rapprochements en cours pour gérer de manière coordonnée les tensions régionales.