Magazine Moyen-Orient

Israël : quelles perspectives pour l’après-guerre ?

Vers une victoire à la Pyrrhus ?

Depuis le début de l’année 2024, l’appareil sécuritaire israélien a concentré ses efforts sur la partie sud de Gaza, tout en cherchant à renforcer sa position stratégique sur sa frontière nord et à affermir son contrôle sur la Cisjordanie. De son côté, l’administration Joe Biden (depuis 2021) n’a cessé d’insister sur la nécessité de réduire les pertes et les destructions engendrées par les opérations, en mettant l’accent sur l’impératif de respect du droit international humanitaire par les belligérants. Loin d’apaiser les souffrances des civils, la réorientation des opérations a entraîné de nouveaux déplacements massifs de populations vers le centre (Khan Younès) et le sud (Rafah) de la bande, suscitant de sévères condamnations de la part des organisations humanitaires et des agences onusiennes.

Après plus de huit mois de conflit, la situation à Gaza est devenue extrêmement grave : plus de 70 % des infrastructures et des bâtiments ont été détruits, tandis que plus de 36 000 personnes seraient mortes. Les agences humanitaires sont débordées, les camps sont surpeuplés et les installations hospitalières ont été endommagées ou détruites. Alors que quelque 1,7 million de personnes sont déplacées à l’intérieur de la bande (sur un total de 2,3 millions), la distribution de l’aide est entravée par les procédures d’inspection au passage frontalier de Rafah et par l’insécurité générale régnant sur ce territoire étriqué, particulièrement dans le nord. Au-delà de la propagation des maladies, la totalité des Gazaouis souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, tandis que l’ordre civil est sur le point de s’effondrer (3).

Les refus répétés des autorités israéliennes d’assouplir les restrictions d’accès à la bande de Gaza ont poussé les principaux pays pourvoyeurs d’assistance humanitaire (États-Unis, France, Jordanie, Émirats arabes unis) à explorer des solutions alternatives telles que le largage de l’aide humanitaire par avion ou la construction d’une plate-forme logistique flottante. Les obstacles concernant la distribution de l’aide à l’intérieur de l’enclave, en particulier dans le nord, demeurent cependant. Au cours du mois d’avril 2024, 300 camions en moyenne auraient pu quotidiennement ravitailler la bande, alors que les agences onusiennes estiment que le double serait nécessaire pour éviter que la famine ne s’installe.

En parallèle, la violence, encouragée par les éléments les plus radicaux du gouvernement israélien, a continué de se propager en Cisjordanie. Plusieurs milliers de Palestiniens ont été arrêtés et 96 personnes ont été tuées lors de raids de Tsahal ou d’attaques de colons. Près de 600 personnes ont par ailleurs été déplacées de Jérusalem-Est vers la zone C de la Cisjordanie, contrôlée par Israël. Des milices, constituées parmi les franges les plus extrémistes des colons, ont attaqué des villages palestiniens.

Dans le même temps, le gouvernement israélien a intensifié la pression sur les autorités libanaises pour contraindre le Hezbollah à se retirer au-delà de la rive nord du fleuve Litani. Jusqu’à présent, le mouvement chiite a fait preuve d’une certaine retenue, respectant peu ou prou les « règles d’engagement » tacites qui prévalent depuis 2006, et ne ciblant pratiquement que des objectifs militaires. Le commandement politico-militaire israélien semble cependant désireux de modifier l’équilibre stratégique sur sa frontière nord. À la suite de l’attaque sur le consulat iranien de Damas le 1er avril 2024, les risques d’extension du conflit au Liban restent élevés et ne doivent pas être négligés.

La poursuite de la campagne militaire contre le Hamas (et potentiellement le Hezbollah) a des conséquences lourdes sur l’économie israélienne, qui fonctionne au ralenti. La mobilisation massive des réservistes (10-15 % de la main-d’œuvre nationale) pèse sur la continuité des services publics et la prospérité des entreprises. Nombre de réservistes (14 %) travaillent dans l’industrie technologique, qui contribue à 20 % du PIB d’Israël, à 50 % de ses exportations et à 30 % de ses recettes fiscales.

La guerre a affecté la confiance des marchés et des ménages dans l’économie israélienne. La consommation des ménages s’est contractée de près de 20 %, tandis que les investissements des entreprises ont chuté de 68 %. Certaines agences internationales ont annoncé la dégradation de la note de crédit d’Israël en février 2024. Malgré l’élan de solidarité de grands investisseurs israéliens pour soutenir l’économie du pays et restaurer la valeur du shekel, la Banque centrale estimait que le coût global de la guerre s’élèverait à environ 70 milliards de dollars d’ici à 2025, un montant équivalant à 13 % du PIB.

Après plus de 150 jours de conflit, les dépenses de défense atteignaient déjà plus de 42 milliards de dollars, auxquels doivent s’ajouter la perte de revenus estimée à environ 14 milliards, en plus des 5 milliards pour l’indemnisation des entreprises et des 4 milliards pour la reconstruction. Les coûts liés à la réinstallation des 200 000 Israéliens initialement déplacés sont estimés au total à environ 1 milliard. Bien qu’une austérité budgétaire eût été de rigueur, Benyamin Netanyahou, affaibli au sein de sa propre coalition gouvernementale, a refusé de réduire les subventions accordées aux partis ultraorthodoxes et d’extrême droite lors des débats fiscaux de janvier 2024. L’attaque iranienne du 13 avril 2024 a permis, à cet égard, à l’administration Biden de justifier une aide additionnelle de 17 milliards pour garantir la sécurité d’Israël. Un cadeau providentiel pour Benyamin Netanyahou.

À propos de l'auteur

Chloé Berger

Professeure assistante au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis.

À propos de l'auteur

Didier Leroy

Chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD), expert invité à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et chercheur associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

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