Magazine Moyen-Orient

Israël : quelles perspectives pour l’après-guerre ?

Un conflit qui exacerbe les tensions sociétales

La popularité du gouvernement israélien n’a cessé de faiblir, atteignant un seuil historiquement bas d’adhésions : 15 % début janvier 2024. Depuis décembre 2023, des manifestations régulières ont eu lieu à Tel-Aviv, demandant le retour des otages et critiquant la gestion de la campagne militaire par le cabinet de guerre. Parmi d’autres personnalités éminentes, Gadi ­Eisenkot – ancien chef d’état-major de Tsahal ayant rejoint le cabinet de guerre en tant qu’observateur en octobre 2023 – exprima ses doutes sur l’approche militariste et déclara avec défiance que le conflit était mené selon des objectifs tactiques, sans avancées significatives pour atteindre les objectifs stratégiques.

En dépit des manifestations et malgré des appels au sein de son propre parti, le Likoud, le Premier ministre continue de s’opposer à la tenue d’élections anticipées. Ce dernier fait preuve d’une incroyable résilience face au mécontentement des franges libérales et séculières de la société israélienne, opposées à son projet de réforme de la justice (qui vise à priver le pouvoir judiciaire de sa capacité à contrôler le gouvernement ou la Knesset), et aux poursuites judiciaires. En dépit de la démission de la figure d’opposition Benny Gantz du cabinet de guerre, le 9 juin 2024, puis la dissolution de ce dernier le 17, le gouvernement pourrait se maintenir quelques mois, en s’appuyant sur ses soutiens au Parlement (Knesset).

Les performances de la défense israélienne face à l’attaque iranienne ont, contre toute attente, rehaussé la cote de popularité du Premier ministre dans les sondages d’avril 2024. Si ce dernier se refuse toujours à envisager l’arrêt des opérations militaires, il a cependant dû se résoudre à proposer une vision pour « l’après ». Le 23 février 2024, le conseiller à la sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, clarifiait ainsi que si le cabinet de guerre était prêt à accepter une forme de gouvernance palestinienne dans la bande de Gaza, la question de la souveraineté palestinienne restait une ligne rouge pour l’ensemble de la population israélienne (4). Selon un sondage, si la moitié des Juifs israéliens soutenaient la formule d’accord en trois phases promue par les États-Unis en février 2024 (un cessez-le-feu de 40 jours, l’échange de tous les otages contre des centaines de prisonniers palestiniens et le retour des Gazaouis déplacés vers la partie nord de l’enclave), il y avait peu d’appétit en Israël pour relancer le dialogue au sujet de la « solution à deux États ». Même Benny Gantz, considéré comme plus pragmatique que Benyamin Netanyahou par une partie de la communauté internationale, promeut une option basée sur « deux entités », dont la forme et les frontières restent à préciser. Une ambiguïté que le Premier ministre et ses alliés d’extrême droite n’hésiteraient pas à utiliser contre Benny Gantz en cas d’élections anticipées.

Un enlisement conscient dans le bourbier de la guerre ?

L’échec des négociations signale une divergence de fond entre les belligérants sur l’approche à adopter pour résoudre le conflit. Alors que le gouvernement israélien a plusieurs fois indiqué qu’il était potentiellement ouvert à un accord de trêve et d’échange d’otages, il se refuse pour l’instant à envisager un cessez-le-feu permanent. L’impératif d’obtenir une forme minimale de victoire militaire continue en effet de faire consensus au sein de l’opinion publique israélienne. Le Premier ministre est trop fragile dans son propre gouvernement pour engager la discussion sur les questions structurantes du conflit (frontières de 1967, statut de Jérusalem, retour des réfugiés palestiniens, devenir des colonies israéliennes, etc.).

La situation catastrophique à Gaza et les violations répétées du droit international ont par ailleurs aliéné une grande partie des soutiens à Benyamin Netanyahou. L’Afrique du Sud a déposé une plainte pour violation de la convention sur la prévention et la punition du crime de génocide dans la bande de Gaza auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) le 29 décembre 2023. Si elle n’a pas le pouvoir d’engager des poursuites, les condamnations répétées des violations du droit international par Tsahal ont néanmoins un impact considérable sur la position d’Israël et sa perception sur la scène internationale. Une situation qui place les alliés de l’État hébreu, Washington en tête, dans une position de plus en plus inconfortable. Un nombre croissant de voix s’élèvent aux États-Unis pour critiquer son soutien inconditionnel, qui nuit à leurs intérêts au Moyen-Orient.

En mai 2024, l’échec d’un nouveau round de négociations entre les belligérants au Caire a permis au gouvernement israélien de lancer une offensive prévue de longue date sur Rafah. Les risques pour les civils sont considérables, inquiétant au plus haut point les chancelleries arabes et occidentales. De son côté, Benyamin Netanyahou sait cependant tirer profit de la détermination de la société israélienne à obtenir une victoire sur le Hamas et ses alliés. Contraint à de nombreux compromis, le Premier ministre pourrait être tenté de favoriser un statu quo, risquant d’enliser davantage Israël dans le bourbier de la guerre.

Notes

(1) Chloé Berger et Didier Leroy, « What Prospects for Israel after the War ? », Institut royal supérieur de défense, e-Note no 56, 15 mars 2024. Les auteurs s’expriment ici à titre personnel ; leurs vues ne représentent pas celles de leur institution de rattachement respective.

(2) The Institute for National Security Studies, « Swords of Iron : An Overview » : www​.inss​.org​.il/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​/​w​a​r​-​d​a​ta/

(3) Maximo Torero Cullen, « Update on the Situation in Gaza and Red Sea », FAO, 24 février 2024.

(4) Jonathan Lis, « Netanyahu to Try to Formulate ‘Day After’ Plan for Gaza This Week, Says Israel’s National Security Adviser », in Haaretz, 17 février 2024.

Légende de la photo en première page : Un soldat israélien observe les visages des victimes du Hamas lors des attaques du 7 octobre 2023 sur le site du festival de musique de Réïm. © Shutterstock/Jose Hernandez Camera 51

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°63, « Bilan Géostratégique 2024 : Guerre ! », Juillet-Septembre 2024.

À propos de l'auteur

Chloé Berger

Professeure assistante au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis.

À propos de l'auteur

Didier Leroy

Chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD), expert invité à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et chercheur associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

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