Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les richesses maritimes au cœur de toutes les convoitises : vers un Far West maritime ?

Des richesses progressivement accessibles

Les richesses des fonds marins, autrefois hors de portée, sont de plus en plus accessibles en raison des avancées technologiques. Les progrès de l’exploitation pétrolière offshore et l’exploitation des minerais métalliques sous-marins sont les deux domaines où les résultats sont les plus remarquables.

L’exploitation pétrolière offshore

La prospection et l’exploitation pétrolière offshore n’étaient à l’origine que le prolongement des exploitations sur le continent, comme à Maracaibo (Vénézuéla) dans le golfe du Mexique ou le golfe Persique. Elles tendent actuellement à s’en dissocier. Des progrès décisifs ont eu lieu dès les années 1960 et 1970, où l’on vit les premiers forages en mer du Nord (ZEE d’Écosse) et au large de la Norvège, les technologies développées dépassant même celles acquises en Alaska à la même époque. Au Nord-Ouest de l’Australie, comme au large du Brésil et de l’Uruguay (Raya-1, 3 400 m), en Afrique de l’Ouest ou au large de l’Inde, les forages se multiplient. La dernière génération de forage atteint des eaux de plus de 3 000 m de fond. En Angola, Total a confié à la société Maersk Drilling un forage à 3 630 m de fond. Le cas de la Méditerranée orientale est actuellement particulièrement sensible car doublement compliqué : d’une part en raison des rivalités de revendications des ZEE respectives entre les différents États, notamment entre Grèce et Turquie, entre Liban et Israël, sans compter la question insoluble de Chypre [voir p. 46], d’autre part en considération d’une question géophysique mise à jour avec la découverte de l’assèchement messinien de la Méditerranée (5 à 6 millions d’années), et des dépôts « pré-sal » (ou pré-salifères) qui y sont associés car la roche poreuse (dite roche-réservoir d’hydrocarbures) se trouve juste sous une roche salifère imperméable, créée par l’accumulation de sédiments dissous dans l’eau avant l’évaporation et qui assure son étanchéité. Or, cette disposition se trouve courante dans le bassin levantin où quatre gisements d’hydrocarbures sont exploités et donnent lieu à des revendications multiples : Tamar à 1 700 m de profondeur et Leviathan à 1 500 m (tous deux dans la ZEE israélienne) ; Aphrodite (partagé entre Chypre et Israël) à 1 700 m ; Zohr (Égypte) à 1 500 m (voir carte ci-dessous). Il est envisagé un projet de pipeline sous-marin (EastMed) entre Chypre et la Grèce, mais dont le cout semble prohibitif compte tenu de la morphologie tourmentée du bassin est-méditerranéen.

Les sites privilégiés en ressources minérales 

Ces sites des grands fonds sont maintenant mieux connus et il est classique d’en distinguer plusieurs types :

 les nodules polymétalliques dans les plaines abyssales (entre 400 et 6 000 m), riches en fer et manganèse, nickel, cuivre et cobalt ;

 les encroutements cobaltifères à la surface des monts sous-marins (entre 400 et 4 000 m) qui se forment directement à partir des métaux présents dans l’eau de mer : cobalt, platine, terres rares, zirconium, tellure ;

 les amas sulfurés liés à l’activité hydrothermale (entre 1 000 et 5 000 m), situés dans les zones volcaniques ou tectoniques actives : zinc, cuivre, or et argent sont les dépôts les plus courants.

Dans cet ensemble, il est établi que les zones les plus riches sont à proximité des dorsales lentes (courantes dans l’océan Indien) où les tapis d’encroutements sont les plus denses. Un facteur limitatif essentiel reste l’extrême difficulté de l’exploration profonde. Si l’absence de lumière ou le froid peuvent apparaitre comme des obstacles redoutables, les contraintes sont certainement plus grandes ailleurs : avec un accroissement de pression d’un bar tous les 10,33 m, le contrôle des profondeurs se limite en général à une tranche d’eau d’environ 300 m. Au-delà, les défis technologiques deviennent gigantesques. Seuls des engins autonomes et hautement spécialisés permettent d’atteindre les plus grandes profondeurs marines. Ainsi, en 2011, le Nautilus New Era, de la compagnie canadienne Nautilus Minerals, premier navire au monde destiné à l’exploitation minière en eaux profondes, effectua ses travaux d’exploration dans la mer de Bismarck, au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont les fonds marins regorgent d’or et de cuivre (site Solwara 1). La compagnie a cependant fait banqueroute en 2019, ce qui montre l’équilibre financier délicat de tels projets.

Contrairement à la carte des hydrocarbures, la superposition de la carte mondiale des nodules et de la carte des ZEE montre un manque de correspondance général : les nodules se trouvent généralement dans le centre des océans, donc au-delà de la plupart des juridictions nationales, tandis que les ZEE sont en périphérie des océans (avec les deux exceptions de la Polynésie et du Centre-Est du Pacifique, notamment entre les fractures de Clarion et Clipperton). L’adoption d’un code minier international par la DSCC (Deep sea conservation coalition) destiné à réglementer l’exploitation en haute mer (dite familièrement « la zone »), est actuellement reportée à 2025.

Depuis peu, les revendications d’accès aux richesses maritimes se posent plus encore en termes de volume qu’en termes de surface. Ces convoitises visent particulièrement les richesses du soubassement et des grands fonds océaniques et s’essaient à élargir démesurément les limites des territoires, au-delà même des limitations imposées par les traités. Si du point de vue des ressources en hydrocarbures l’exploitation offshore ne semble pas marquer de pause malgré les profondeurs croissantes de la tranche d’eau, il ne semble pas en être de même pour l’exploitation minérale, les couts de ramassage étant toujours prohibitifs par rapport aux bénéfices escomptés.

Note

(1) Courant ascendant d’eau océanique en provenance des profondeurs, plus froide que les eaux de surface.

Légende de la photo en première page : Vue sur Palm Island à Dubaï, où les Émirats arabes unis ont dû importer 150 millions de tonnes de sable marin en provenance d’Australie pour construire leur iles artificielles. Alors que la consommation de sable, qui a triplé en 20 ans et qui pourrait encore croitre de 45 % d’ici 2060, attise les tensions entre États, le sable marin constitue celui qui offre la diversité la plus appréciée, utile pour faire du béton, de l’asphalte et du mortier. Au rythme actuel de prélèvement, souvent illégal, le sable marin pourrait manquer dès 2100. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°82, « Géopolitique des mers & océans », Octobre-Novembre 2024.
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