Au cours des dernières années, l’« axe de la résistance » est devenu de plus en plus institutionnalisé. Par le passé, ce réseau correspondait à un modèle plus centralisé, avec l’Iran au milieu. Ses partenaires non étatiques se parlaient, mais leurs relations passaient principalement par Téhéran. Depuis quelque temps, toutefois, ils ont développé leurs relations bilatérales directes (10). Le Hezbollah, en particulier, joue un rôle clé avec une présence sur le terrain aux côtés de Gardiens de la révolution en Syrie et au Yémen. Les officiers du « Parti de Dieu », dont la langue maternelle est l’arabe et qui ont souvent des années d’expérience au combat, aident dans la formation et la liaison avec divers partenaires locaux. Les houthistes, quant à eux, ont significativement développé leurs relations directes avec les autres membres de l’« axe de la résistance ». Ils ont ouvert un bureau à Beyrouth, où ils coordonnent leurs activités avec le Hezbollah et le Hamas. C’est là aussi qu’ils ont pu recevoir de leur partenaire libanais une assistance technique en matière médiatique. Cette sophistication et cette institutionnalisation croissantes de l’« axe de la résistance » ne signifie pas une perte de contrôle de Téhéran. Au contraire, il s’agit d’une tendance encouragée par la République islamique, et qui pour elle représente une étape nécessaire à la poursuite de ses objectifs.
Elle a su implanter avec succès – pour elle – sa stratégie au Yémen. Elle y a patiemment établi des liens, au fil des décennies, avec un partenaire potentiel. Lorsque ce dernier a commencé à devenir plus attrayant, elle a pu augmenter son soutien et faire passer la relation à une vitesse supérieure. En 2024, en quelques années seulement, les houthistes ont atteint le statut de puissance régionale incontournable, avec la capacité démontrée d’obstruer le trafic maritime en mer Rouge et de forcer l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux riches puissances régionales bénéficiant du soutien américain, à revoir leurs ambitions nationales à la baisse. Le mérite ne revient pas entièrement à l’Iran ; une part importante de la puissance houthiste est générée localement, et la guerre civile au Yémen n’a pas été causée par l’intervention iranienne. Néanmoins, comme elle l’a fait ailleurs, la République islamique a su habilement exploiter, à un coût limité, un vide politique au Yémen pour y accroître son influence.
Notes
(1) Au Yémen, les zaïdites représentent environ 40 % des 35,2 millions d’habitants (2024). Samy Dorlian, La mouvance zaydite dans le Yémen contemporain : Une modernisation avortée, L’Harmattan, 2013.
(2) Marieke Brandt, Tribes and Politics in Yemen: A History of the Houthi Conflict, Hurst, 2017.
(3) Laurent Bonnefoy, Franck Mermier et Marine Poirier (dir.), Yémen : Le tournant révolutionnaire, Karthala, 2012 ; Laurent Bonnefoy, Le Yémen : De l’Arabie heureuse à la guerre, Fayard, 2017.
(4) Thomas Juneau. « Iran’s policy towards the Houthis in Yemen: a limited return on a modest investment », in International Affairs, vol. 92, no 3, mai 2016, p. 647-663.
(5) Thomas Juneau. « How War in Yemen Transformed the Iran-Houthi Partnership », in Studies in Conflict & Terrorism, vol. 47, no 3, 2024, p. 278-300.
(6) May Darwich, « Escalation in Failed Military Interventions: Saudi and Emirati Quagmires in Yemen », in Global Policy, vol. 11, no 1, février 2020, p. 103-112.
(7) Quentin Müller, « Pourquoi les drones houthistes ont frappé Abou Dhabi », in Orient XXI, 17 février 2022.
(8) Fabian Hinz, « Little and Large Missile Surprises in Sanaa and Tehran », International Institute for Strategic Studies, 17 octobre 2023.
(9) Eleonora Ardemagni, « From Mountain Fighters to Red Sea Disruptors: What the Houthi Attacks Mean for Yemen, the Region, and Global Stability », Sana’a Center for Strategic Studies, 27 décembre 2023.
(10) Nancy Ezzeddine et Hamidreza Azizi, « Iran’s Increasingly Decentralized Axis of Resistance », in War on the Rocks, 14 juillet 2022.
Légende de la photo en première page : Un habitant de la ville de Taez observe les destructions dues à la guerre, en avril 2019. © Shutterstock/anasalhajj