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Moyens d’action russes dans les fonds marins

Le 20 septembre 2021, le journal économique russe Vzgliad [Regards] tente d’y répondre, défendant la légalité des activités du Yantar : « Chaque fois que le Yantar se trouve dans une zone de l’océan mondial dans laquelle se trouvent des câbles de communication au fond de la mer, la presse étrangère panique : “Ces Russes couperont nos câbles”… Y a‑t‑il du vrai dans tout cela ? Presque rien. Oui, le Yantar possède vraiment les capacités qu’on lui prête. Mais il ne les utilise pas. Nos marins du GUGI ne coupent pas les câbles de communication étrangers et n’y branchent pas de matériel d’espionnage. Pourquoi ? Parce que ce serait à notre propre détriment. On découvrirait aussitôt des équipements d’interception branchés sur un câble à fibre optique. Une telle surveillance s’effectue à l’aide d’engins sous-­marins inhabités… Et si un tel “branchement” était découvert, alors l’ampleur du scandale diplomatique et les dommages causés à notre pays éclipseraient plusieurs fois les avantages que nous pourrions gagner. Le deuxième point est que nous n’avons fondamentalement pas besoin de tout le trafic… Et traiter de tels volumes d’informations nécessiterait d’énormes ressources. Le troisième argument est que notre équipement tomberait aux mains de l’ennemi et que grâce à un tel cadeau, les “partenaires” en apprendraient tellement sur nos capacités qu’il vaudrait mieux s’abstenir. Quatrièmement, il est beaucoup plus facile d’obtenir ces informations provenant de sources non militaires grâce au cyberespionnage… Les sources militaires et les câbles militaires sont une autre affaire, mais vous ne pouvez pas non plus agir ouvertement… Alors que fait ce navire ? La réponse est simple : du renseignement. Oui, le principal centre d’intérêt du Yantar est constitué par les objets sous-­marins ; il se trouve qu’il s’agit principalement de câbles. Et nos marins les examinent et les cartographient avec une grande précision. Peut-être identifient-ils les utilisateurs dans le cas où il s’agit de câbles militaires. Ils collectent également d’autres informations de natures variées. Mais ils ne coupent rien, ne cassent rien, n’interviennent nulle part et ne font généralement pas ce qu’on leur reproche de faire. Au moins là où quelqu’un pourra le vérifier. C’est pourquoi il est impossible de présenter au monde la moindre preuve des activités néfastes du Yantar. Les responsables occidentaux, militaires américains et de l’OTAN le comprennent très bien… La Russie a‑t‑elle le droit d’effectuer de telles reconnaissances dans les eaux neutres ? Oui, bien sûr. Cela ne contredit en rien le droit international, pour autant que nous ne touchions pas aux biens d’autrui … Tout cela signifie-t‑il que la Russie a abandonné le véritable espionnage, l’interception de données et les “connexions” avec les câbles d’un ennemi potentiel ? Non. Mais vous devez comprendre la différence entre collecter des informations sur l’océan mondial, y compris l’emplacement et la nature des objets sous-­marins, et obtenir un accès non autorisé à l’équipement et aux lignes de communication de quelqu’un d’autre. Ce sont des choses différentes, et elles se font différemment. (5) »

En novembre 2024, le Yantar traverse la Manche, en route vers l’Atlantique. Avec ce bâtiment et ses sisterships, la Russie possède les moyens de localiser câbles et équipements immergés et de les détruire dans une période de crise. Cependant, de telles actions seraient détectées et assimilables à une escalade vers un conflit ouvert, et exposeraient ces bâtiments sans défense qui font l’objet d’un suivi attentif (6).

Notes

(1) « Forces spéciales nucléaires : comment fonctionne la plus secrète des structures de la Marine russe ? », https://​hi​-tech​.mail​.ru/​r​e​v​i​e​w​/​5​0​1​7​0​-​y​a​d​e​r​n​y​j​_​s​p​e​c​naz, 5 août 2020.

(2) Collectif, « Technologies sous-marines et moyens d’exploration de l’océan mondial, Armes et technologies », 2011 [Подводные технологии и средства освоения Мирового океана, Оружие и технологии, 2011].

(3) Burilichev commande alors le sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) K-461 Wolf, Projet 971 Shchuka‑B/Akula.

(4) David E. Sanger et Eric Schmitt, « Russian Ships Near Data Cables Are Too Close for U.S. Comfort », The New York Times, 25 octobre 2015.

(5) Alexandre Timokhine, « Le navire de reconnaissance russe crédité d’opérations fantastiques », Regards, 20 septembre 2021.

(6) Voir notamment, pour peu qu’il n’y ait pas de spoofing : https://​www​.marinetraffic​.com/​e​n​/​a​i​s​/​h​o​m​e​/​s​h​i​p​i​d​:​1​2​1​5​0​5​3​/​z​o​o​m​:10

Légende de la photo en première page : Le Yantar à la mer. C’est le plus visible des bâtiments russes affectés aux opérations dans les fonds marins. (© Crown Copyright)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°99, « Technologies militaires 2025 (numéro spécial) », Décembre 2024-Janvier 2025.
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