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Encore raté ? La DCA à l’offensive

Pour contrer l’un de ces trois effets, les systèmes de DCA doivent, en sus de l’adaptation au terrain (1) et à la situation tactique, avoir des qualités parfois contradictoires : grand rayon d’action, nombre suffisant pour défendre des forces largement déployées, concentration du feu pour rompre les attaques adverses les plus fortes, précision du feu pour infliger des pertes (2), coût et impact logistique restreints pour éviter qu’une empreinte trop forte ne réduise la capacité des forces terrestres à agir dans la zone couverte par la DCA (3), mobilité pour suivre les mouvements de ces dernières. À ces spécifications d’ordre général s’ajoutent les spécifications techniques pour répondre aux différentes formes prises par la menace, considérations auxquelles les armées ont répondu par la fameuse défense en « pelure d’oignon » allant du MANPADS (Man portable air defense system) à la batterie multivéhicules. Ce système de défense a démontré une certaine efficacité tant que l’écart technologique et numérique avec la force aérienne adverse n’était pas trop important (4). Mais bien souvent, dans le cadre d’une attaque terrestre, sa capacité à protéger des forces opérant offensivement a montré des limites.

Quelques exemples

De prime abord, cela étonne, car être à l’offensive apporte des avantages non négligeables aux systèmes lourds : capacité à concentrer les forces idoines (donc la DCA) avant de les mettre en branle et à constituer des stocks de munitions, effet de surprise, réduction de la capacité de l’aviation adverse à organiser sa réaction. Mais dans les exemples ci-dessous, aucun de ces facteurs n’a suffi.

1973

L’utilisation de SAM de fabrication soviétique par les forces arabes durant la guerre du Kippour est bien connue. Elle tient en échec la Heyl Ha’Avir, protégeant notamment les ponts sur le canal de Suez. L’attaque égyptienne initiale sur le canal de Suez se déroule bien, l’aviation israélienne compte 14 appareils perdus au soir du 7 octobre, rien que sur le Sinaï (5). Le front se stabilise vite, tel que l’a planifié l’armée égyptienne, tandis que sur le Golan l’armée syrienne mène des combats plus durs sur une ligne de front plus floue. Le 9 octobre au matin, Israël rapporte à Kissinger la perte de 14 Phantom, 28 Skyhawk, 3 Mirage et 4 Super Mystère (6) soit 10 % de son effectif total. Quelques modifications des tactiques, incluant le recours à des attaques en piqué et à des attaques de revers, et la coopération avions/hélicoptères dans l’attaque des sites SAM, permettent aux Israéliens de continuer à voler. Mais les pertes essuyées restent lourdes. Ce sont surtout les tirs d’artillerie et l’attaque blindée à l’ouest du canal de Suez qui, en détruisant au sol ou en chassant les batteries, ouvrent des trous dans la défense et permettent à l’aviation israélienne d’opérer plus librement. Mais celle-ci aura perdu une centaine d’appareils, en grande majorité du fait de la DCA adverse (7).

Au-delà de la lutte tactico-­technique, l’offensive du Kippour a fait apparaître une nette faiblesse au sein de la DCA arabe : la couverture des forces à l’offensive. En effet, après la première attaque-­surprise et la création d’une tête de pont par les 2e et 3e armées égyptiennes, la situation s’est figée : infanterie, artillerie et chars restent sous la protection des SAM. Seule la 1re brigade mécanisée s’avance imprudemment vers Ras Soudar, hors de portée des batteries SA‑6. Elle est alors immédiatement étrillée par des bombardiers Super Mystère qui attaquent en vol rasant pour éviter les tirs des SA‑2 et SA‑3 encore à portée. Enhardi par le succès défensif initial et appelé à l’aide par l’allié syrien, Sadate ordonne de nouvelles attaques : le 14 octobre, 260 chars égyptiens sur 500 sont détruits par les chars et l’aviation israélienne. La DCA égyptienne ne bouge pas, restant pour l’essentiel à l’ouest du canal. Les ponts égyptiens sont saturés par la consommation d’antichars, d’obus de chars et de munitions d’artillerie qu’il faut alimenter. Cette situation était en théorie tenable, puisqu’il était prévu que les Israéliens perdent leurs maigres réserves dans des contre-­attaques. Mais la contrainte posée par d’autres fronts (en l’occurrence le front syrien) a brisé ce fragile équilibre.

1980

Censée profiter du chaos généré en Iran par la révolution, l’attaque irakienne sur le chott El-Arab montre un schéma similaire. Face à une aviation iranienne mieux équipée, les Irakiens répondent par une attaque initiale sur ses terrains – plutôt ratée –, et par une abondante couverture de DCA basée sur des systèmes essentiellement soviétiques, et quelques autres européens. La couverture se montre efficace pour l’avance initiale, mais dès que les unités s’éloignent, commencent à manœuvrer ou abordent le relief des monts Zagros, les choses se compliquent. La couverture de DCA commence à se trouer, les Irakiens ne parvenant pas à intégrer un roulement de leurs batteries dans le flot de véhicules : au lieu que l’une se déplace pendant que l’autre reste en couverture, les ordres touchent les batteries par zone géographique et annulent donc la couverture d’un ensemble d’unités pendant plusieurs heures. Ailleurs, c’est la résistance acharnée de quelques points d’appui (8), souvent dans des villages, qui tord le front irakien et crée les trous.

La force aérienne iranienne exploite cette situation avec ses avions, et surtout ses hélicoptères d’attaque. Elle dispose de 200 AH‑1 Cobra, hélicoptères armés d’un canon M‑61 Vulcan de 20 mm et pouvant emporter des missiles TOW et des roquettes Hydra‑70. Exploitant le relief, ils s’attaquent particulièrement aux unités blindées. Mais leur plus grand succès est remporté contre la 4e division d’infanterie irakienne qui, après avoir rencontré une résistance, bascule pour la contourner via un « itinéraire bis ». Ce faisant, ses colonnes roulent parallèlement au front et sont attaquées aléatoirement sur toute la longueur, rendant inefficace la défense que tentent d’assurer les canons à tir rapide, trop peu nombreux pour couvrir l’ensemble du déploiement. Cet assaut héliporté brisera un pan de l’attaque irakienne, avec comme conséquences à long terme la formation d’un point faible et les encerclements d’Adaban et de Dizfoul.

2022

Ce schéma se retrouve en 2022. L’attaque russe, pour ce que l’on peut en savoir aujourd’hui, pariait sur une forte maîtrise du ciel qui aurait permis de neutraliser la manœuvre ukrainienne et de lancer des forces parachutistes en avant des colonnes. Face à l’atomicité de la résistance, équipée d’armes individuelles antichars, à des réactions locales rapides et agressives (par exemple dans la contre-­attaque sur Hostomel), ce modèle d’offensive bute un peu partout. Les blocages qui se créent, illustrés par des colonnes de blindés ou de camions immobilisés sur les routes, ne pouvant se disperser dans les champs boueux, sont « transformés » en points d’attrition grâce à l’action aérienne : des petits drones de l’unité Aerozdivka aux TB2, les frappes se multiplient et entraînent des pertes sensibles en véhicules. La conséquence stratégique n’est cette fois pas l’affaiblissement d’une portion du front, mais l’affaiblissement et l’isolement des colonnes, dont aucune n’atteindra Kiev (9). La DCA russe, visiblement prévue comme un auxiliaire de seconde zone pour obtenir le contrôle du ciel par rapport à l’aviation et aux frappes sur les bases aériennes ukrainiennes, a manqué pour contrer ces actions.

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