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Encore raté ? La DCA à l’offensive

Plus tard, malgré la présence de systèmes de DCA d’origine russe et occidentale, la première phase de la contre-­offensive ukrainienne de 2023, sur la portion sud du front, s’est vue opposer des attaques de drones, mais aussi de couples hélicoptères/missiles tactiques de longue portée, représentés notamment par des Mil Mi‑28 équipés de missiles LMUR (Legkaya Mnogotselevaya Upravlyayemaya Raketa, « Fusée guidée polyvalente et légère »). Ici, le déploiement de la DCA ukrainienne avait été préalablement pensé, mais s’est avéré insuffisant pour couvrir la très basse altitude au-delà de quelques kilomètres. Enfin, l’Ukraine a plus récemment entamé une campagne de frappes sur les bases aériennes russes, qui pourrait avoir pour objectif non seulement de réduire les sorties de frappe à la bombe planante, mais aussi peut-être de préparer une prise de contrôle du ciel par les futurs avions devant être reçus.

La centralité de la défense aérienne

Trois guerres, trois offensives a priori bien parties, qui toutes butèrent sur deux problèmes identiques : la friction tactique au sol, d’une part, et l’incapacité à protéger les forces à l’offensive de la menace aérienne au-delà des premiers kilomètres, d’autre part. De ce deuxième point ressort un fait particulier : la vulnérabilité naturelle d’une force d’attaque moderne à l’action aérienne et la difficulté à la défendre lorsqu’elle passe à l’offensive. Un point qui suscite des interrogations lorsque l’on pense aujourd’hui aux opérations d’appui-feu réalisées par des drones tactiques armés (notamment les FPV – First person view), et que l’on considère que la plupart des défenses alignées contre cette menace sont basées à terre, pour partie fixes, et sur des véhicules lourds donc nécessitant un appui logistique et de manœuvre important. En effet, quels systèmes peuvent aujourd’hui contrer une attaque d’engins aériens sans pilote visant une unité d’attaque, qu’elle soit constituée d’infanterie ou de véhicules, blindés ou non ? Les solutions sont basées sur les brouilleurs, les armes légères ou lourdes à tir rapide, la missilerie. Quelques solutions complémentaires sont encore peu utilisées : drones d’interception hit-to-kill tels que des FPV, gros drones porte-filets, lasers…

Tous ces systèmes présentent un point commun : ils offrent une portée efficace d’une dizaine de kilomètres au mieux contre des drones d’observation ou d’attaque, mais sont plutôt imposants et donc vulnérables à des frappes. En revanche, leurs moyens d’action sont très différents. Si certains reposent sur l’électromagnétisme et sont susceptibles d’être contrés par des changements technologiques, au moins le temps de s’y adapter, d’autres sont pratiquement indépendants de la nature de la cible et peuvent frapper aussi bien une bombe planante qu’un drone, la principale limite étant alors l’obtention d’une ligne de visée dégagée et la cinématique de la cible. En raison de ces limitations, il apparaît qu’une force progressant à l’offensive se trouverait très rapidement assaillie par des drones d’attaque, et ce même si elle a trouvé un moyen de neutraliser les éléments qui lui faisaient face : en effet, en matière d’attaque terrestre, le principal obstacle à une progression en profondeur est souvent constitué par les deuxième et troisième lignes, ainsi que les réserves, plutôt que par la première ligne qui tient le front, aisément repérable et neutralisable. Or la relative légèreté des unités de drones tactiques leur confère une mobilité suffisante pour jouer le rôle de « pompiers » de la défense.

Ce phénomène a été fréquemment observé lors des attaques russes sur Bakhmout ou des tentatives ukrainiennes de franchissement du Dniepr : dans les deux cas, d’importants mouvements initiaux n’ont mené à rien de tangible, si ce n’est l’établissement de quelques têtes de pont, car les moyens mis en œuvre pour protéger l’avancée n’ont pas tenu assez longtemps. Ces moyens comprenaient notamment l’appui-­feu d’artillerie, la contre-­batterie et la lutte antidrone à l’aide de brouilleurs. Dans le cas du franchissement du Dniepr, le fleuve empêchait leur passage, tandis qu’à Bakhmout, ils furent parfois tout simplement détruits par d’autres moyens comme l’artillerie.

En matière de DCA donc, s’il faut partir à point, il faut aussi être un coureur de fond. Face à l’aviation moderne alignant des appareils complexes et donc relativement peu nombreux, il est envisageable d’effectuer des roulements avec les systèmes de DCA, de les protéger contre les autres modes d’attaque, leur portée offrant une « bulle de tranquillité » de plusieurs dizaines de kilomètres aux forces terrestres. Face aux drones en revanche, les dimensions de l’équation se réduisent et établir un maillage correct devient ardu. De plus, le rapport coût/capacité destructive des drones d’attaque rend les tactiques de saturation pratiquement inutiles : sauf peut-être avec l’engagement de drones terrestres (qui ne saurait être exclusif), une masse « financièrement abordable » de chars, de véhicules ou de fantassins ne pourrait être sacrifiée. Au-delà des pertes subies, c’est la désorganisation qui empêcherait de tirer de l’attaque autre chose qu’un grignotement de terrain. La solution qui permettra d’offrir une lutte antidrone suffisamment performante devra donc, soit par la portée, soit par le nombre, soit par la mobilité au plus près de l’attaque, offrir une solution capable d’accompagner les offensives au-delà de la dizaine de kilomètres. 

Notes

(1) Accessibilité, disposition optimale des sous-parties du système qui sont souvent distribuées sur plusieurs emplacements, champ de vision des capteurs non obturé par le relief.

(2) Et éviter de se retrouver dans une situation où la première attaque est contrée au prix de l’essentiel des munitions, et où les appareils adverses reviennent pour une seconde attaque sans opposition

(3) La difficulté consiste en effet à la cantonner à une « fonction support » des forces au lieu d’en faire une fin en soi.

(4) Cela a notamment été le cas sur mer ou dans la défense des centres urbains.

(5) Joseph S. Doyle, « The Yom Kippur War and the Shaping of the United States Air Force », Drew Paper no 31, Air University, Maxwell Air Force Base, Alabama (https://​media​.defense​.gov/​2​0​1​9​/​F​e​b​/​2​8​/​2​0​0​2​0​9​4​4​0​4​/​-​1​/​-​1​/​0​/​D​P​_​3​1​_​D​O​Y​L​E​_​T​H​E​_​Y​O​M​_​K​I​P​P​U​R​_​W​A​R​_​A​N​D​_​T​H​E​_​S​H​A​P​I​N​G​_​O​F​_​T​H​E​_​U​S​A​F​.​PDF).

(6) Ibidem.

(7) https://​nsarchive2​.gwu​.edu/​N​S​A​E​B​B​/​N​S​A​E​B​B​9​8​/​o​c​t​w​a​r​-​5​6​.​pdf

(8) Souvent tenus par les Pasdarans.

(9) Car les Russes ont attaqué en profondeur plutôt que d’adopter progression méthodique.

Légende de la photo en première page : Démonstration d’emploi d’un Mistral. La DCA est par définition multicouche, mais procède aussi de ses propres tactiques. (© Yugoimport)

Article paru dans la revue DSI n°174, « Israël contre l’Iran (et ses proxys) : la confrontation », Novembre-Décembre 2024.
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